Récit de Tiziano
L’arrivée: une étape du voyage vers l’Angleterre …
Je viens de Taranto, dans les Pouilles, au sud de l’Italie. Ça faisait quelques années que j’avais l’intention de partir : l’idée était d’aller quelque part pour apprendre l’anglais… l’Angleterre me paraissait un choix trop classique, du coup je pensais plutôt à l’Irlande ou l’Écosse.
À Marseille j’avais un ami, originaire de ma ville, qui s’y était installé depuis 4 mois ; j’ai décidé de passer lui rendre visite sur le chemin, en sachant que je n’étais pas pressé d’arriver là-haut… et finalement j’ai bien aimé la ville, et j’y suis encore 3 ans après !
Je ne pense plus à mes destinations initiales, j’étais parti pour aller voir comment on vit ailleurs, pour faire des expériences et découvrir d’autres façons de vivre…
Quand je suis parti, je n’avais pas grand chose qui me retenait : j’avais abandonné des études de graphisme, après avoir passé quelques examens, parce que je n’aimais pas trop l’ambiance. On apprenait des choses intéressantes, mais je n’ai jamais trop accroché avec le côté commercial de la formation, ni les débouchés qui allaient se présenter à moi.
Premiers pas : logement et cours de langue
En arrivant, je ne savais rien sur Marseille ni sur la France (je visais des pays anglophones, en principe), mais l’ami que j’avais ici m’a hébergé le premier mois. Après, j’ai trouvé un logement en location, pour une durée de 3 mois, avec ma copine de l’époque. Je n’avais pas d’emploi, mais j’ai répondu à une annonce parue sur le Bon Coin et je suis tombé sur une très bonne personne, qui nous a fait confiance. Le fait qu’on soit en couple et qu’on soit déjà en train de suivre des cours de langues l’a rassurée, elle a bien voulu accepter des garants en Italie.
Entre temps, j’avais déjà commencé à fréquenter la Casa Consolat, et c’est là qu’on m’a conseillé de m’adresser à la Mission Locale, avenue de Toulon, sachant qu’à l’époque, je n’avais pas encore 26 ans (c’était la limite d’âge pour bénéficier des services proposés par ce genre de structure, aujourd’hui je crois qu’ils l’ont passée à 30 ans).
On y dispensait différentes formations : dans mon cas, j’ai passé un entretien avec une dame, qui m’a proposé un cours de français rémunéré. L’entretien avait pour but de m’aider à m’orienter, il ne s’agissait pas d’une sélection, ou du moins je ne l’ai pas perçu comme ça. On m’a demandé des documents de base, une pièce d’identité, et on m’a inscrit dans une école de langues, où j’ai passé un test de niveau.
J’avais 7 heures de cours par jour et j’étais payé en fonction des heures que je suivais. J’étais le plus âgé de la classe, les autres ayant autour de 18 ans ; ils étaient principalement maghrébins (algériens, tunisiens), mis à part une fille allemande. Les mois où je pouvais être présent tous les jours, je touchais environ 350 euros, ce qui était déjà pas mal, sachant que je n’avais pas d’emploi. D’après ce que j’ai entendu, aujourd’hui c’est même plus élevé, ça peut aller jusqu’à 600 euros par mois.
L’emploi: mieux vaut un réseau qu’un bon CV
Au bout de 2 mois, je me sentais assez à l’aise pour parler en français et chercher un emploi ; j’ai traduit mon CV en français et j’ai commencé à le faire circuler un peu dans toute la ville. Plus tard, on m’a conseillé de le modifier, pour l’adapter aux critères français : j’ai dû le synthétiser et sélectionner mes expériences professionnelles en fonction des postes visés, en mettant bien en avant les compétences en lien avec les secteurs recherchés.
J’ai pris le plan de la ville et, après l’avoir découpé par quartier et par type d’entreprise, j’ai fait des visites ciblées : les studios de graphisme, les laboratoires de photographie, les entreprises du bâtiment, les bars et restos… Je n’ai eu aucune réponse, sauf un glacier sur le Vieux Port qui m’a proposé une entretien d’embauche, mais qui ne s’est plus manifesté par la suite , aucune nouvelle.
Je me suis un peu débrouillé en faisant des petits travaux dans l’appartement où j’habitais ; en échange, la propriétaire me diminuait le loyer. Elle m’a aussi mis en contact avec d’autres personnes, des connaissances ou des amis, qui avaient quelques bricoles à faire dans leurs logements.
Plus tard, passés les trois mois du contrat de location, nous avons déménagé au Panier. Je commençais à me démoraliser, les mois passaient et je ne trouvais pas d’emploi. La langue, ça ne progressait pas trop car je ne connaissais pas tant de Français que ça et je n’avais pas non plus de travail où la pratiquer.. Je m’étais fixé une date limite, octobre, pour faire un bilan, même si c’est clair que je n’avais aucune envie de rentrer chez moi, en Italie.
Finalement, en y réfléchissant, je me suis dit qu’au moins, je commençais à connaître la ville, à bien me repérer, à m’exprimer au moins à un niveau basique en français, et que du coup ça n’avait pas de sens de bouger à nouveau.
J’ai donc décidé de tenter d’autres voies et arrêter les CV, qui n’aboutissaient à rien ; j’ai appris que la Casa Consolat cherchait des cuisiniers bénévoles, et dans la mesure où le projet de ce lieu me plaisait, ça me rappelait un lieu qu’on avait ouvert avec des amis en Italie, j’ai décidé d’y faire une semaine comme bénévole en cuisine. J’avais en plus la chance de pouvoir y rester toute la journée, n’ayant pas de contrainte d’horaires : je pouvais donc profiter à fond des différentes choses que propose le local (cuisine, ateliers, spectacles, jam session…), et il y avait moyen d’apprendre plein de choses.
En plus, ça m’a permis de rencontrer pas mal de monde, notamment des musiciens… j’y passais de longues journées, du matin jusqu’à la nuit avancée. Plus tard, quand ils ont cherché à embaucher quelqu’un, ils m’ont proposé le poste et vu que les choses se passaient aussi très bien d’un point de vue humain, ça a été une très bonne opportunité pour moi.
Le labyrinthe des démarches
Jusqu’à ce moment là, je n’avais fait aucune démarche auprès des différents services de l’État : initialement suivi par la Mission locale, je ne me suis inscrit au Pôle Emploi que dans un deuxième temps ; à la Sécurité Sociale je n’avais pas encore déposé de dossier pour avoir, par exemple, la CMU.
Quand j’ai fini par m’inscrire au Pôle Emploi, j’ai eu du mal à comprendre le fonctionnement : je pense avoir été radié 2 fois en quelques mois, parce que je ne faisais pas la démarche d’actualiser mon dossier tous les mois, sachant que rien n’avait changé dans mon statut… je continuais à chercher mon premier emploi en France, donc en plus, je n’avais aucun droit en tant que chômeur. En tout cas, avec le recul, j’ai découvert qu’il vaut mieux se déclarer demandeur d’emploi le plus tôt possible, même si on a droit à aucune allocation, ça permet au moins de justifier une durée passée sur le territoire français, déclarer d’éventuels petits contrats qu’on a eus… si on a la chance qu’ils n’aient pas été au black (ce qui m’est souvent arrivé les premiers mois ! C’est comme ça que je m’en sortais, mais c’est pas top, surtout au début, quand on doit ouvrir ses droits et sa couverture santé…).
La première fois que je me suis rendu au Pôle Emploi avec l’idée de m’y inscrire, j’ai été positivement impressionné par les bureaux. En Italie, le service équivalent ressemble à un marché au poisson, avec quatre tables dans une salle et tout le monde qui se parle dans tous les sens. Ici, je voyais ces beaux locaux, présents dans tous les quartiers, avec même une enseigne dehors ! Mais lors de mon premier entretien, la dame a été franchement désagréable avec moi, en me reprochant mon niveau de français : « Apprenez la langue, trouvez une façon de progresser et revenez dans quelques mois ».
Finalement, en janvier 2014, j’ai pu signer un contrat aidé à la Casa Consolat et je n’ai plus eu besoin de m’adresser au Pôle Emploi. Par contre, mon employeur avait besoin de mon numéro de sécurité sociale, pour remplir le dossier de mon contrat (et de mon côté, j’avais aussi besoin d’une carte vitale, au cas où il m’arrive quelque chose…).
Et ça, ça a pris beaucoup de temps ! De mon côté, j’ai eu du mal à suivre les démarches : je me suis limité à fournir les pièces qu’on m’a demandées quand je suis allé à la Caisse d’assurance maladie. J’avais confiance et je pensais que les choses allaient avancer… Au bout d’un an, on m’a renouvelé mon contrat aidé, mais je n’avais toujours pas de carte vitale ni de numéro provisoire : heureusement que je n’ai jamais eu besoin de soins médicaux ni de médicaments.
C’est seulement à la fin de ma deuxième année de contrat que j’ai découvert que ma couverture n’était en vérité pas encore activée : j’avais besoin d’un numéro pour le communiquer au Pôle Emploi et commencer les démarches pour les allocations chômage et ça a été un gros bordel !
Il me restait trois mois de contrat quand j’ai commencé à réunir ces informations : on m’a répondu que visiblement, je n’avais pas fourni tous les documents nécessaires, ou bien mon dossier avait été perdu. Pendant les mois précédents je m’étais rendu à la Sécu, par exemple pour signaler un changement d’adresse lors des déménagements, et j’ai toujours fourni les pièces qu’on me demandait, même quand il s’agissait de documents que j’avais déjà présentés. C’est le cas par exemple, pour l’acte de naissance, que j’ai dû donner à plusieurs reprise, ce qui n’est pas si facile à faire, sachant que ça ne peut pas être une copie du document en italien : il faut qu’il soit en version française et qu’il n’ait pas plus de trois mois (alors qu’il certifie un événement qui date de presque 30 ans!). Je devais donc demander à ma famille d’aller le faire à la Mairie de ma ville natale, et me l’envoyer, pour pouvoir à chaque fois présenter un document ‘frais’.
En tout cas, à la fin de mon contrat, je n’avais toujours pas de justificatif de ma couverture santé ! Les semaines suivantes, c’est presque comme si j’avais travaillé à la CPAM, au Pôle Emploi et à la CAF, tellement j’y ai passé du temps. Au total, mon dossier à la sécu a été perdu 6 fois ! À la CAF, d’ailleurs, ils n’ont jamais pu activer le RSA complémentaire, à cause de ce problème à la Sécu.
On a l’impression qu’ils le font exprès, de ne pas finaliser les démarches pour pas donner ces droits à tout le monde, c’est quand même pas mal d’argent d’épargné !
À la CPAM finalement, j’ai eu la chance d’avoir une amie qui y travaillait : je lui ai parlé de mes problèmes, et du fait que j’avais besoin de toucher le chômage, n’ayant pas un sous de côté. Grâce à elle, j’ai eu un numéro provisoire, avec lequel je suis allé à nouveau à mon bureau de Sécu, à Canebière Réformé, redemander la Carte Vitale. Désormais on me connaissait. Quand j’arrivais, je voyais les regards tendus : je suis toujours resté calme, même si je leur disais que je savais que d’autres connaissances qui avaient élevé la voix avaient obtenu ce qu’on leur devait. Je ne l’ai jamais fait, j’ai toujours gardé mon sang froid et certains employés admettaient bien que 2 ans d’attente n’était pas normal.
Je reconnais qu’ils gèrent beaucoup de monde et de documents, mais la dernière fois ça a été flagrant : j’avais ramené tous mes documents, à nouveaux, pour remonter mon dossier, et c’est là que la dame au guichet me dit qu’ils ne prenaient que des photocopies. Je lui explique alors que j’avais déjà fourni 6 fois les photocopies, et que ce jour là, je ne les avais pas, mais que sûrement ils pouvaient en faire. Effectivement, elle a accepté de prendre les originaux (attestation d’hébergement, fiches de paye, contrat de travail, passeport, acte de naissance fraîchement réédité) et est partie vers la photocopieuse.
Au bout de quelques minutes, elle revient et me rend seulement mon passeport : j’attends les autres originaux, mais elle affirme me les avoir déjà rendus… Après quelques échanges tendus, elle se met à la recherche, qui se révèle fructueuse. Des feuilles étaient tombées par terre derrière le guichet, d’autres étaient restées dans la photocopieuse… j’ai juste dit : « Je comprends mieux, maintenant comment mes dossiers ont réussi à être perdus déjà 6 fois ! ».
Je me demande ce qu’il se serait passé si je n’avais pas connu la fille qui travaillait à la sécu et qui m’a assigné le numéro provisoire.
De manière plus générale, en arrivant, j’ai été surpris par la quantité d’aides pour ceux qui habitent et travaillent en France : on m’a parlé des allocations chômage, du RSA, des aides pour le logement…toutes ces choses n’existent pas, ou presque pas, en Italie. Ça te permet de ne pas avoir à te jeter sur le premier emploi qui t’est proposé, de réfléchir plus tranquillement sur les choix et les chemins à prendre, de penser à tes projets personnels.
Sur le long terme, le fait d’avoir travaillé dans un endroit comme Casa Consolat, qui m’a permis de faire des rencontres dans plusieurs secteurs qui m’intéressent, a représenté une grosse aide. Très rapidement je me suis fait un réseau d’amis, de musiciens, des gens qui ont pu me conseiller… si j’y pense, en 2 ans j’ai connu plus de monde que ce que j’aurais pensé faire en 5, surtout si on considère comment ça avait démarré !
J’ai trouvé des gens avec qui jouer de la musique, j’ai appris à travailler en cuisine (je n’avais pas de vraie expérience en tant que responsable de cuisine).
Et la ville, ça m’a aussi aidé : je ne connais pas le centre et le nord de la France, mais ici, j’ai retrouvé des choses de chez moi…les gens sont très ouverts et directs, pour le meilleur et pour le pire : s’il faut se dire quelque chose, on se le dit ! C’est clair qu’au début, je ne comprenais pas tout des façons de s’exprimer et des codes d’ici… avec le temps, par exemple, j’ai compris comment m’adresser au Pôle Emploi, qui m’avait initialement impressionné avec ses bureaux tout neufs et ses ressources matérielles. Et ben finalement, il se trouve qu’il faut quand même s’imposer, aller taper à leur porte, insister pour qu’ils s’occupent de toi…exactement comme chez nous !
Tant au Pôle Emploi qu’à la Sécu, il m’est arrivé de tomber sur des gens qui travaillaient bien et qui m’ont aidé : il y en a parfois, et ça fait la différence, dans ce genre de structures, avec ceux qui attendent juste la fin de la journée…
Dans chaque structure, on peut avoir la chance de tomber sur quelqu’un qui travaille bien et qui t’aide : au Pôle Emploi, je n’ai jamais rien eu au niveau des offres d’emploi, par contre j’ai fait quelques séances de travail sur mon CV avec un tuteur qui m’a filé de très bons conseils.
De plus, parfois, on a l’impression que rien n’est figé au niveau des procédures : une fois, un employé de la CPAM m’a demandé ma carte vitale italienne, en me disant que ça allait permettre de compléter mon dossier en France. En réalité ça n’a rien débloqué et surtout, on ne me l’a jamais redemandée après… c’était juste cet employé, ce jours-là, qui affirmait pouvoir s’en servir.
À mon arrivée, ça m’aurait certainement aidé d’avoir un meilleur niveau de français, mais j’étais justement parti de chez moi pour apprendre des langues… C’est normal qu’en arrivant je n’ai pas eu un gros niveau !