Récit de Lamar

Je m’appelle Lamar, cela signifie l’éclat de l’or. J’ai 27 ans, je suis mariée, je viens de Benzert en Tunisie et je suis en France depuis six mois. Je suis en formation et je n’ai pour l’instant pas de problèmes pour régulariser ma situation administrative.
Je me suis mariée, au début mon mari m’avait dit qu’il ne souhaitait pas retourner en France. Il avait décidé de rester en Tunisie. C’est pourquoi nous n’étions pas mariés. Comme il vivait en France, il pensait que je voulais me marier avec lui pour aller en France. Mais moi je n’ai pas réfléchi comme ça, ça ne me plaisait pas vraiment de venir en France, au contraire : j’aime mon pays, ma mère, mon père, mes frères. Il m’a dit de ne pas venir avec lui en France. Ensuite on s’est mariés, il m’a dit “je dois retourner en France pour le travail”, je suis donc venue car il m’a dit de venir.

La différence culturelle

J’aime beaucoup la France, pour les vacances, car c’est un beau pays. Mais pour y vivre, il lui manque quelque chose, il lui manque de la tendresse. Chez nous, quand on voit quelqu’un, on s’inquiète s’il est triste, on lui cuisine un bon plat, on envoie les voisins lui rendre visite, mais ici tout le monde s’en fout, chacun ne s’occupe que de lui-même. Les voisins me manquent. Chaque jour on prend des nouvelles, on rend visite aux malades, même hors de la famille.

Ici, la vie est difficile. Quand je suis arrivée, je pleurais tous les jours. Mon mari a la nationalité française, j’avais un Visa “regroupement familial”. J’étais avec mon mari, c’était mon premier voyage quand je suis arrivée. Je n’ai pas eu de problèmes administratifs, Dieu merci; par contre j’ai eu beaucoup de mal à me faire à la vie en France. Je voulais retourner dans mon pays mais si je décide de le faire, je devrai quitter mon mari car lui souhaite rester ici.

Les premières difficultés

Au début, on vivait avec sa famille, c’était inconfortable. Je n’attendais qu’une chose : trouver un logement à nous, être indépendants.
Aussi, ma famille de Tunisie ne prenait pas de nouvelles, ils n’avaient pas le temps de m’appeler tous les jours, je me sentais très seule. J’ai appris assez vite à me débrouiller : à communiquer même en ne parlant pas la langue, à me déplacer grâce à internet, à repérer la ville et les trajets des bus.
Mon mari prend en charge l’administration et la santé. Je n’ai pas demandé d’aide d’associations ou structures, là peut-être que j’aimerais trouver un endroit où faire du sport. Il y a aussi l’école où j’apprends le français.

J’ai cherché du travail mais avec le voile, ça ne marche pas. J’ai essayé chez des tunisiens qui ont une pâtisserie au Vieux-Port, mais pareil ils n’ont pas accepté à cause du voile. C’est injuste, toute personne est libre de ses choix, certaines femmes teignent leurs cheveux en jaune ou en vert, elles sont libres; eh bien moi j’aime porter le voile. Ça n’influe pas ma personnalité ou ma façon de traiter les gens, je suis travailleuse et accueillante quoi qu’il arrive. C’est quelque chose entre Dieu et moi.

J’ai quitté l’école à 17 ans, je voulais rejoindre l’armée mais ma famille n’a pas voulu.
J’aime beaucoup la pâtisserie, mais je n’ai pas envie d’essayer les études en France, c’est trop long, trois ans pour faire de la pâtisserie et puis je devrais passer mon bac.
Surtout que je ne vais pas trouver de travail après ça, à cause du voile.

S'endurcir après des épreuves

J’ai beaucoup changé depuis mon arrivée, je me suis endurcie. Avant, j’avais bon cœur et j’aimais tout le monde. Je suis moins disponible et je m’intéresse moins aux gens.
J’ai vécu des choses difficiles, en venant j’essayais une FIV. J’aurais dû me reposer mais j’ai voyagé le lendemain de l’intervention… pour arriver dans un pays que je ne connaissais pas.
J’ai eu le résultat le jour de la fête des sacrifices. Nous n’avions pas acheté le mouton.
Pour moi c’était très dur : première fête après le mariage, loin de la famille, sans faire le sacrifice et en apprenant que la FIV n’a pas fonctionné. Surtout, quand ma belle-mère l’a su elle a dit que j’étais responsable, que je montais beaucoup les escaliers, je me suis sentie coupable alors que ma famille dit que mon mari est aussi la cause de notre infertilité.

En Tunisie, j’avais un chaton, mon mari me l’a ramené une semaine après notre mariage pour qu’il reste avec moi à la maison. Moi j’avais peur des poils et des maladies, je voulais qu’il reste dehors mais maintenant je l’appelle “mon fils”. J’ai payé beaucoup d’argent pour ses soins. J’avais beaucoup d’affection pour lui et ne le laissais jamais seul longtemps, il était tout le temps avec moi. Il me manque beaucoup. J’aurais aimé l’emmener mais il faut 4 mois et beaucoup d’argent pour lui faire des papiers. Je l’ai laissé à mes frères, que j’enverrai de l’argent pour la nourriture. Mais ils me disent qu’il a disparu, je pense qu’ils l’ont donné ou abandonné.

Un conseil

Mon conseil à une femme qui s’installerait en France : être forte pour ne pas se faire exploiter. Si elle a des enfants, éviter de travailler tout de suite pour pouvoir s’occuper de ses enfants, car ici les enfants quittent le foyer à 17 ou 18 ans, c’est trop tôt et les jeunes ne sont pas prêts à être indépendants. Je crains pour les jeunes, de nos jours, car ils ne prêtent pas de la valeur à la vie, comme avant. Il y a beaucoup d’alcool et de drogue.
Une femme qui travaille et s’occupe de ses enfants en même temps, n’a jamais de temps pour elle. C’est très fatigant. Mon mari travaille, moi je fais la cuisine et le ménage, sauf si je suis malade ou fatiguée.

Penser futur

En Tunisie, nous avons une maison. Là-bas, la vie est simple. On peut se promener, à la montagne, à la mer, même sans argent. Dans cinq ou six ans j’espère repartir. J’aimerais être proche de ma famille. Alors, peut-être que je travaillerai. Je vendrai des gâteaux dans une pâtisserie pleine de chaleur, d’amour et de tendresse, quelque chose comme ça, si Dieu le veut. Marseille est une belle ville, mais la France est plus connue pour les marques, Dior, Chanel, des choses artificielles qui ne m’intéressent pas. Pour les vacances, ça va, mais pas pour y vivre.