Récit de Mosa

Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille

En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.

Du Soudan au CRA du Canet

Je suis soudanais, j’ai 35 ans. Je suis arrivé à Marseille en septembre 2015, après avoir traversé l’Italie de Sicile, à Rome puis Vintimille. J’ai traversé la frontière entre l’Italie et la France, en arrivant en train à Nice. C’est sur le trajet suivant, Nice-Marseille, que je me suis fait contrôler par la police. Arrivé à la Gare Saint Charles, les policiers m’ont demandé si je voulais demander l’asile en France : j’ai répondu que oui et ils m’ont pris les empreintes et conduit au Centre de Rétention Administrative du Canet (toujours à Marseille).J’y ai été détenu pendant une semaine, et c’est seulement après que j’ai pu entamer la procédure de demande d’asile (n.d.a., à la Plateforme Asile, PADA).

Je n’ai pas vraiment choisi Marseille, je voulais juste quitter le territoire italien et je ne savais pas où j’allais… et c’était Marseille .

Les droits du demandeur d’asile

Une fois la procédure de demande d’asile lancée, j’ai commencé à recevoir l’Aide aux demandeurs d’asile, correspondant à presque 350 euros pour un célibataire (nda. le montant varie en fonction de la composition familiale).
Par contre, pour ce qui concerne l’hébergement, aucune solution m’a été proposée par les institutions : j’ai fais 4 tentatives, en me rendant à l’OFII tôt le matin. Mais à chaque fois il y avait beaucoup de monde, le gardien ne me laissait même pas accéder au bâtiment. C’est d’ailleur un homme de la sécurité de l’OFII qui m’a informé de la possibilité d’adresser une demande d’hébergement au service téléphonique de l’OFII, en appelant les lundis / mercredis / vendredis matin.
J’ai essayé d’appeler des dizaines de fois mais ils n’ont jamais répondu.

Au bout d’un moment, en voyant tout ce monde à l’OFII et en constatant qu’aucune solution m’était proposée, j’ai renoncé… Entre temps j’avais eu la chance de connaître des gens du Collectif Soutien Migrants – El Manba, et grâce à ce réseau j’ai pu rentrer dans un squat, où je dors encore à présent.

Mes amis m’accompagnent pour m’aider dans les demandes car je n’ai pas d’aide pour mon accompagnement. Je vais à la Plateforme Asile pour chercher mon courrier, 3 fois par semaines. Les seules démarches que la PADA ait fait pour moi ce sont l’inscription au Restaurant Noga et la demande de CMU et son renouvellement au bout d’un an.

Des attentes exténuantes

Entre l’enregistrement de ma demande d’asile par l’OFPRA et mon entretien à Paris j’ai attendu 1 an. En total, ma procédure de demande d’asile dure depuis 2 ans, pendant lesquels je n’étais pas autorisé à travailler et je n’avais que l’ADA pour couvrir mes besoins primaires, y compris le logement, du moment que rien ne m’a été proposé.
D’ailleurs, même pour l’ADA j’ai dû insister auprès de l’OFII : au bout de 45 jours de retard, ils ont fait un mail de relance pour que mon allocation soit enfin versée.
De plus, avec l’activation de l’ADA, l’OFII a contacté la Plateforme Asile pour leur demander de ne plus me réorienter vers le Restaurant Noga, mes revenus étant désormais ‘trop haut’ pour bénéficier de ce service…

C’est très long d’attendre tout ce temps : dans mes journées, je vais à l’école, j’apprend le français, j’y vais tous les jours. En fait, je suis des cours dans plusieurs endroits : à La Friche, sur le boulevard Baille (n.d.a., L’Amicale du Nid, Mardi de 14h à 16h30. 60, Bd Baille), à Tétraccord et au Manba.

Lors de mon entretien à l’OFPRA j’ai tout raconté, tout ce qui m’est arrivé du Soudan jusqu’à Marseille, y compris mon passage en Libye. La vie y est très dure pour un noir : on se fait maltraiter, on se fait battre… Dans le bateau, les passeurs vous classent, les arabes sont sur le pont et nous les africains et les autres ont est dans les cales.

En arrivant ici, je pensais de pouvoir tourner la page, mais au bout de tout ce temps je ne peux pas dire de l’avoir fait. Les galère continuent, la peur et les chagrins ne s’arrêtent pas. Je suis surpris de la manière dont les gens sont traités ici…

Au Soudan il y a beaucoup de misère, de la violence dans plusieures zones du pays ; ici, je perçois une aide de l’Etat, c’est vrai… mais la vie est bien différente de ce que je rêvais en quittant mon Pays.

Et en tout cas si ce n’était pas pour le soutien de beaucoup de personnes que j’ai rencontré et qui continuent de m’aider, je ne pourrais pas survivre avec les 340 euros de l’ADA. Je vois que ceux qui n’ont pas eu la chance que j’ai eu, dans les rencontres, dorment à la rue, des familles entières. Je me demande comment ils font.
Avec mon expérience, j’ai compris qu’on ne peut pas compter sur l’Etat, c’est l’entraide et les rencontres qui m’ont permis de tenir.

Quand l’OFPRA m’a notifié le refus de l’asile, j’ai pensé que ce n’était pas vraiment grave, que c’était le mektoub…
Je suis allé rencontrer la CIMADE, qui m’a aidé pour préparer mon recours. Aujourd’hui, je suis en attente d’une audience à la CNDA… Encore en attente, sans pouvoir rien faire : c’est dur de vivre ici, je suis dans l’inconnu… rester où partir je ne sais pas.
Au Soudan j’ai travaillé depuis l’âge de 8 ans : c’est vraiment dûr maintenant d’accepter de recevoir de l’argent sans rien faire. C’est une situation insupportable pour moi, et je ne cesse pas de penser à ce qui doivent penser les autres de ma condition.

D’autres associations et espace de rencontre : au delà du soutien

Le collectif El Manba m’aide sur plusieurs questions : j’y récupère des vêtements, je vais manger aux cantines à prix libre qu’ils organisent et parfois j’aide à préparer des repas de soutien. Il y a un collectif de personnes qui donnent des légumes et autres qui les récupèrent en fin de marché…

Je vais aussi aux permanence de l’association Afrisanté, à Noailles, qui aide beaucoup de gens. J’y vais pour avoir de l’aide pour les démarches administratives (CMU, appels au 115, …), mais aussi juste pour me reposer et boire un thé.

Et la Cimade, outre que pour le recours à la CNDA, m’a aidé pour de nombreuses démarches, comme trouver une école ou encore contacter un médecin. Ils offrent une aide réelle, et c’est rassurant d’y trouver toujours des bénévoles, souvent très âgés: on s’y sent dans des bonnes mains, on fait confiance.

En enfin il y a des espaces de rencontres très importants pour moi, les seules permettant d’oublier nos respectives galères: les jeudi après-midi on se retrouve avec des copains italiens, soudanais, afghans pour boire un thé, tchatcher, jouer aux échecs, à Manifesten. C’est le seul espace où j’ai vu les européens s’ouvrir, mettre de côté leur timidité.
On y oublie d’où on vient, on laisse de côté les démarches et les ennuis bureaucratiques, on relativise et on ne pense pas aux Etats et à leurs histoires : c’est un espace où les gens fleurissent, on se croirait en famille, avec pleins d’enfants qui courent de partout.
Et d’ailleurs, c’est le meilleur espace d’intégration que j’ai connu : on y apprend plus de français qu’aux cours de langue de l’OFII, puisqu’on a envie de communiquer et on a des choses à partager!

 

 

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