Récit de Muharem

Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille

En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.

Muharem a 32 ans – il est de nationalité kosovare – il est arrivé à Marseille en 2015 accompagné de sa femme et de leurs trois enfants. Il a quitté le Kosovo vers l’Italie avec sa famille alors qu’il était enfant – Il n’a jamais réussi a régulariser sa situation administrative en Italie – Il a ensuite fait une demande d’asile en Belgique qui a été refusée. Après un long périple en Europe il a été expulsé au Kosovo par les autorités Belges – il a dû quitter une nouvelle fois son pays car il n’y était pas en sécurité – il est venu en France. Placé en procédure Dublin, il a pu finalement demander l’asile en France après 6 mois de présence – il a été placé en Procédure Prioritaire (ancienne procédure Accélérée) et n’a pas eu droit aux conditions matérielles d’accueil – il a finalement été reconnu réfugié par la CNDA et a obtenu le statut.

L’arrivée, en famille, et les premières demarches pour l’asile

Je suis arrivé à Marseille en juin 2015 sur une camionnette blanche avec ma femme et trois enfants. À ce moment là ils avaient 10 et 1 ans. Je viens du Kosovo et ma femme de Croatie.

Nous avons eu beaucoup de difficultés pour trouver un abri pour la soirée et on n’avait pas d’idée de quoi faire. La première nuit on a dormi à la rue, dans le parc en bas à gauche de la gare Saint Charles. Au début je ne savais même pas ce que c’était la gare Saint Charles. Le matin suivant il y avait un monsieur avec beaucoup d’enfants qui parlait la même langue que nous. Je lui ai demandé des informations et il m’a envoyé vers la Plateforme Asile qui au début était à HPF.

Donc je suis allé de suite à la Plateforme, où j’ai fait la queue et j’ai été reçu le jour même. Il y avait un monsieur qui parlait ma langue et moi je ne voulais pas parler français car j’avais peur de raconter que j’étais passé par la Belgique. Ce monsieur a été mon interprète et il m’a expliqué toute la procédure de demande d’asile et il m’a donné un adresse pour l’hébergement à l’hôtel. Le soir même on a eu l’adresse pour aller à l’hôtel Richmond, rue Tapis Vert. Le matin suivant nous devions nous présenter à la Préfecture avec tous les documents que la Plateforme nous avait donné. Avant c’était mieux car c’était plus rapide, alors que maintenant tout est pire et compliqué.

A la Préfecture on a enregistré ma demande d’asile mais ils ont refusé d’enregistrer celle de ma femme, car elle serait ressortissante d’un pays européen (nda. ce qui n’est pas le cas car elle n’a pas la nationalité croate). Pendant 6 mois on avait des RDV réguliers chaque trois semaines en Préfecture jusqu’au sixième mois, quand ils nous ont expliqué que la Belgique avaiat refusé la reprise en charge et alors on pouvait commencer la procédure d’asile en France. Pendant ces premiers 6 mois je n’avais pas d’allocation. Avec le premier récépissé, j’ai pu aller à l’OFII pour faire le dossier pour Pôle Emploi et avoir l’allocation.

J’étais domicilié à la Plateforme.

À la recherche d’une place en maternelle

J’ai eu des soucis pour scolariser les enfants car il n’y avait pas de places. Pour l’école maternelle, il n’y avait pas de problèmes mais pour l’école primaire nous avons eu des difficultés. J’avais reçu un courrier de la Mairie pour m’orienter vers une école primaire mais le directeur nous a dit qu’il n’y avait pas de place. À la Mairie, ils nous ont dit qu’il fallait attendre. C’est une salarié de la Plateforme Asile d’HPF qui nous a aidé dans les démarches de scolarisation. C’est elle qui avait appelé le rectorat et au final il nous ont trouvé une place dans une école primaire à Belsunce (Korsec).

La Plateforme Asile avant les reformes : un accompagnement réel

Pendant les premiers 6 mois, j’ai commencé à fouiller les poubelles pour trouver des objets et les revendre au marché. C’est comme ça que j’ai fait jusqu’au versement de la première allocation. Cet argent n’était pas suffisant pour manger et j’achetais surtout du lait en poudre et des couches pour le petit. A midi on allait manger avec toute la famille au restaurant Noga. Mais pour Mohamed, qui avait 1 ans, il fallait acheter le lait en poudre. J’avais demandé à la Plateforme des adresses et des aides pour les colis alimentaires. A la Plateforme on m’a donné un courrier pour le Restos du Cœur, la Croix rouge et la Maison de la Solidarité. Quand je suis allé à la MDS Pressensé du premier arrondissement, l’assistante sociale nous a proposé de placer les trois enfants pendant « cette période de crise ». C’est la première fois en France que je me suis énervé. La sécurité est rentrée est il nous ont mis à la porte.

On avait beaucoup d’aide à la Plateforme Asile et à chaque fois qu’on avait des questions ou des problèmes, il y avait toujours des salariés qui nous aidaient.

Rejet de l’asile et perte de l’hébergement : la galère continue

Quand j’ai reçu la décision de rejet de l’OFPRA, au bout d’un mois l’hôtel n’était plus payé et ils nous ont mis à la porte. Je suis resté avec ma famille dans cet hôtel 1 an. C’était une chambre pour deux et nous on y était à 5 : c’était une chambre d’environ 12 mètres carré. Il y avait un lit double et un lit superposé. Il y avait la douche à l’intérieur de la chambre et les toilettes dans le couloir. On peut dire que l’hôtel n’était pas extra luxe ! Après je savais que la Plateforme payait trop cher pour cet hôtel : environ 60 euros par jours. Après le rejet de l’OFPRA, nous n’avons pas pu rester car j’étais en procédure prioritaire. À ce moment-là les demandeurs d’asile en procédure prioritaire n’avaient plus la possibilité d’être hébergés même si j’ai fait le recours. En plus, à cette époque la Plateforme était en train de fermer.

J’ai rencontré des personnes d’un collectif militant qui nous ont proposé un hébergement dans un squat. Ils nous ont donné une chambre plus grande que la chambre de l’hôtel. Je partageais le deuxième étage de ce squat avec deux autres personnes  qui étaient très tranquilles. Dans le deuxième étage il y avait la cuisine, les toilettes et les trois chambres. Nous pouvions utiliser la cuisine juste pour nous. Ça n’a pas été compliqué de vivre dans le squat car tout le monde était très gentil et tout le monde aimait bien les enfants. Ils étaient très respectueux de notre espace.

Après le rejet, même l’allocation s’est arrêtée. J’ai eu des problèmes avec l’allocation avec le passage de gestion de Pole Emploi à l’OFII. Personne ne m’avait rien expliqué. Au total j’ai perçu l’allocation 5 mois : 2 mois l’ATA par Pole Emploi (350 euros) et 3 mois l’ADA par l’OFII (620 euros car les enfants étaient inclus). À cause du passage de l’allocation entre Pôle Emploi et OFII pour la réforme de l’asile, j’ai perdu 2 mois d’allocation qui ne m’ont jamais été versés. L’allocation n’est pas suffisante pour manger, surtout parce qu’à l’hôtel on ne peut pas cuisiner. Ce n’est pas assez mais c’est mieux que rien !

Quand j’était dans les squat, le soir je passais fouiller dans les poubelles des supermarchés pour manger. Après je continuais à fouiller les poubelles pour ramasser des objets et les revendre au marché. Au Resto du Cœur pour le colis alimentaire c’était une fois par mois et je devais payer une participation de 2 euros. La distribution de repas du Resto du Cœur à saint Charles ce n’est que pour les adultes et les enfants ne pouvaient rentrer. Chaque samedi soir il y avait une autre association qui faisant la distribution de repas derrières les escaliers de Saint Charles.

Une fois je suis allé au Secours populaire avec une dame de RESF qui nous aidait pour demander un colis alimentaire. Il faut faire le dossier une fois par an. La dame du Secours Populaire ne nous a pas accepté le dossier car on vivait dans le squat en disant que « les squats n’étaient pas acceptés ». Moi j’étais habitué à recevoir des réponses négatives, mais la dame qui nous accompagnait était très choquée et énervée et elle a dit : « Donc les enfants pour vous n’ont pas le droit de manger ? ».

La nouvelle PADA : un suivi plus que reduit

Quand la PADA a fermée, je suis allé à la nouvelle PADA, pour le courrier pour la domiciliation. Une fois j’avais un souci pour la demande d’aide juridictionnelle. À la nouvelle PADA ils m’ont dit qu’ils ne faisaient plus de « services sociaux ». Quand je suis sorti de la PADA je ne savais plus quoi faire et une amie m’a conseillé d’aller à la Cimade, où on m’aidé à faire la demande d‘aide juridictionnelle. Même pour renouveler ma CMU j’ai arrêté d’aller à la Plateforme mais j’allais directement au bureau du CCAS à la PASS de la Timone. C’est là qu’ils ont fait aussi l’Aide Médicale d’État (AME) pour ma femme. J’ai continué à aller à la Pada seulement pour le courrier.

Dans le squat je suis resté du mois de mars 2016 à septembre 2016. Un jour un huissier est passé et il nous a dit qu’on avait deux mois pour quitter ce bâtiment. Pendant ces deux mois, nous avons tenté de trouver d’autre solutions. Une amie nous a trouvé un appartement juste près de l’école et là, début septembre 2016, nous avons réussi à squatter l’appartement. C’était un appartement juste pour nous. Les premiers deux semaines nous avons eu très peur que quelqu’un vient nous expulser. Après on ne croyait pas qu’on avait tout l’appartement pour nous. La police est venue au mois de novembre pour la première fois. Elle a frappé à la porte. Une voisine du troisième étage est descendue pour voir ce qu’il se passait. Nous avons alors ouvert la porte et la voisine est restée avec nous pour nous aider. La police a dit « n’ayez pas peur, on n’est pas au Kosovo et ici on ne frappe pas les gens ». Ils nous ont expliqué que c’était seulement la procédure d’expulsion et ils nous ont pris l’identité.

Il y a eu une grande période de confusion quand il y a eu le changement de la Plateforme. Quand la nouvelle Plateforme a ouvert, ça a été très compliqué. Vu que je parlais français j’ai aidé beaucoup de demandeurs d’asile pour l’assurance maladie. J’expliquais aux personnes la procédure et je les orientais vers la PASS de la Timone, à Médecins du Monde et à la Cimade. Les gens qui n’avaient plus d’hébergement avec la nouvelle Plateforme, je les aidais à trouver une solution avec d’autres personnes des collectifs à Marseille, le temps d’avoir l’hôtel. Je pense qu’au début de la nouvelle Plateforme tout était plus difficile, mais je pense que maintenant ça va peut-être un peu mieux.

Le recours devant la CNDA 

J’ai reçu le refus de l’OFPRA en janvier 2016. J’ai présenté un recours devant la CNDA et demandé la désignation d’un avocat avec l’Aide Juridictionnelle. Par des compatriotes, j’ai eu des bonnes informations sur un avocat ; j’ai donc demandé un changement d’avocat, on a fait la demande avec la Cimade qui m’a aidé à contacter l’avocat.

La secrétaire nous a dit d’envoyer un courrier à l’avocat avec les documents concernant ma demande d’asile, ce qui a été fait.

L’avocat m’a renvoyé un courrier une semaine après, me disant qu’il acceptait de prendre mon dossier et que je devrai lui verser 1200 euros. L’avocat a prévenu l’avocat qui avait été désigné, qu’il me représenterait auprès de la CNDA parce qu’il connaissait bien la situation au Kosovo.

Il se chargeait aussi de prévenir la CNDA.

Deux mois après avoir fait mon recours à la CNDA, j’ai reçu une convocation. J’étais inquiet, j’ai contacté mon avocat pour voir avec lui quand on pouvait se voir pour préparer… La veille de l’audience, l’avocat ma contacté pour me dire qu’il n’avait pas reçu la convocation à l’audience et qu’il demandait un report de l’audience.

Neuf mois après, j’ai reçu la 2° convocation à la CNDA pour le mois de novembre. L’avocat m’a contacté pour me dire qu’il me donnait un rendez-vous la veille de l’audience. Deux amies m’ont aidé pour payer le billet de train et je suis arrivé l’avant-veille pour pouvoir travailler avec lui avant l’audience qui était prévue à 9h,  le lendemain matin.

Nous sommes entrés dans la salle d’audience à 9h15, Il y avait 3 juges. Le rapporteur a présenté tout mon dossier, les motifs de rejet de l’OFPRA et mes arguments pour ma demande. Quand il a terminé, le Juge a demandé au traducteur de m’expliquer ce qui avait été dit par le rapporteur, j’ai pris la parole et j’ai dit au Juge que je parlais et comprenais bien le français et que je lui demandais de continuer en langue française.

Le Juge a dit : « Comme vous souhaitez parler en Français, je vous demande d’expliquer pourquoi vous êtes venus, quelles sont les raisons pour demander l’asile. Alors j’ai tout expliqué ma situation du Kosovo vers l’Italie, de l’Italie vers la Belgique, de la Belgique vers le Kosovo, et du Kosovo vers la France. J’avais peur que le Juge ne me comprenne pas, ne me croit pas, mais quand j’ai fini d’expliquer, le Juge a donné la parole à mon avocat. Il avait beaucoup travaillé sur mon dossier : à chaque motif de rejet il a présenté des arguments, il avait fait beaucoup de recherche sur ce qui se passe au Kosovo et il a expliqué et démontré les raisons que j’avais…

Là, les Juges m’ont posé 2 questions : Avez-vous eu des papiers en Italie ? et  où sont les papiers de l’Italie ? J’ai répondu que j’avais eu un permis de séjour en Italie, mais que lorsque je n’ai plus eu de travail, mes papiers n’étaient renouvelés que pour 6 mois et quand les assistantes sociales ont voulu prendre et placer  mes enfants, nous avons décidé de partir à Bruxelles parce que Bruxelles est la capitale de l’Europe et je voulais expliquer ma situation. Tous mes documents ont été gardés par les policiers en Belgique et je ne les ai jamais récupérés.

La deuxième question concernait la situation de ma femme : « Vous avez dit que votre femme est croate ; pourquoi n’êtes-vous pas partis en Croatie ? »

J’ai expliqué que ma femme sait qu’elle est née en Croatie, mais elle n’a aucun document qui le prouve et on a rencontré beaucoup de problèmes en Italie par rapport à sa situation, et j’ai dit : « Je ne cherche rien d’autre que d’être tranquille dans ma vie, que mes enfants puissent étudier et avoir une vie de dignité. »

Le troisième juge a dit : « Pour nous, c’est bon ». Le premier juge m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter ; j’ai dit non ! Le juge a dit alors que je recevrai la décision. Passé ce délai, j’ai appris par téléphone que j’avais obtenu le statut de réfugié ; le courrier de la CNDA est arrivé début janvier. Je n’ai vraiment cru que j’avais obtenu le statut que lorsque j’ai eu ce courrier…

L’accompagnement et soutien des associations

En janvier 2017, je suis retourné à la MDS pour mon dossier SIAO (Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation) que j’avais déposé un an avant, lorsque j’avais eu la suppression de l’hôtel après le rejet de l’OFPRA. La dame n’a pas retrouvé le dossier, mais elle se rappelait de moi. C’était la même dame qui m’avait proposé de placer les enfants pendant la période de « crise ». Elle m’a promis qu’elle allait le rechercher et elle m’a donné le dossier DALO et DAHO pour que je le remplisse.

On m’a conseillé d’aller à l’espace Velten pour rencontrer des juristes de l’ASMAJ pour leur demander des conseils sur les papiers laissés par les huissiers concernant le logement que j’occupais avec ma famille, et aussi pour savoir les possibilités que j’avais en tant que réfugié pour obtenir un logement. Ils m’ont conseillé d’aller au tribunal d’instance. J’ai été à la permanence pour les personnes devant quitter le logement qu’ils occupent. La dame m’a rempli les dossiers DALO et DAHO et je n’ai pas eu de nouvelles jusqu’en août 2017.

J’ai contacté le service logement de l’association HPF pour qu’ils m’aident à rechercher un logement. Une amie s’est proposée comme garante ; ça n’a pas été facile, mais en juin 2017, j’ai pu signer le bail pour l’appartement que j’ai trouvé. Avant, j’avais expliqué à l’OFII cette situation, mais à part une lettre à la MDS, ils ne pouvaient rien faire. J’ai fait deux courriers à la DRDJSCS pour expliquer ma recherche de logement ; je n’ai jamais eu de réponse. Pour les démarches concernant l’ouverture des droits CAF, j’ai été aidé par une salariée d’un CADA, mais c’était une exception (parce que je le connaissais par des contacts privés – elle a fait ça en dehors de son travail).

J’ai eu de la chance d’avoir toute cette aide, parce que je pouvais m’expliquer en Français, et parce que j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de belles personnes qui ont pu m’aider. Mais je sais que pour les gens qui ne parlent pas le Français, ils attendent et continuent d’attendre, sans trouver les solutions, même quand ils ont obtenu le statut de réfugié ; attendre pour la décision, attendre pour le logement, et attendre pour l’ouverture des droits, attendre, toujours attendre.

Aujourd’hui, ma famille a un logement, j’ai un travail et j’ai aussi beaucoup de projets. C’est à nous de construire notre vie. On a la loi qui nous donne des droits ; on a des personnes qui peuvent nous aider ; c’est une petite porte qui se ferme et un grand portail qui s’ouvre.

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