Récit de Mourid

Sans-papiers dans son propre pays

Mon père a travaillé en Irak comme ouvrier pendant 6 ans et j’y suis né, nous sommes revenus au Maroc en 1989 durant la guerre qui a eu lieu entre l’Irak et l’Iran.

Au Maroc, nous avons passé presque un an et demi à Tantan, et ensuite nous avons déménagé vers Dakhla. Ma mère est originaire d’El mohammedia, et mon père est de Sahraoui.

Ma langue maternelle que nous parlons chez nous est le dialecte marocain parce que mon père a vécu longtemps à Casablanca, et que ma mère est d’El mohammedia.

Je me suis souvent déplacé sur la côte atlantique et j’ai travaillé dans plusieurs villes telles que Agadir, Kénitra… J’étais un amoureux du surf, et c’est la raison pour laquelle je me déplaçais ou je m’installais quelque part. Je suis aussi passionné de pêche et de toute activité liée à la mer. Mais, finalement, j’ai quitté définitivement Dakhla quand je suis venu en France, à Marseille.

Comme j’étais né à l’étranger et que je n’avais pas d’acte de naissance qui pourrait prouver ma filiation les autorités ne voulaient pas me délivrer de papiers d’identité. Ça ne fait que cinq ans que la loi a été changée pour l’adapter avec un tel cas.

Vivre sans papiers dans son pays représente beaucoup de difficultés. Quand tu cherches un travail, ou un logement, ou quand tu veux ouvrir un compte bancaire, tu as toujours besoin d’une carte d’identité et puisque je ne l’avais pas, on m’a privé de tant de choses, et j’ai raté plusieurs opportunités professionnelles.

Je n’ai pu avoir une carte nationale d’identité qu’à l’âge de 28 ans après avoir été privé de plusieurs opportunités. Tout ce que j’avais, c’était un papier certifiant que j’avais un problème de documentation étant né en Irak, et que je ne possédais pas de documents officiels permettant l’obtention d’une carte nationale d’identité.

A Dakhla, on peut apprendre à parler espagnol dans les quartiers. Malheureusement, je n’ai rien appris de l’espagnol à l’école au Maroc. Les mots et les expressions que j’ai apprises, elles viennent de la rue. Dans toute la ville de Dakhla, à l’époque, il n’y avait qu’un seul établissement scolaire avec une école primaire, un collège, et un lycée, qui s’appelait « Waliy Al-Ahd » (« Le prince héritier ») et maintenant ils ont changé le nom en  » Mohamed VI  » , et après on nous a construit un autre appelé  » Hassan II « . J’ai poursuivi mes études jusqu’à la dernière année du collège, et j’ai arrêté.. Je sens que je n’ai rien appris du tout.

Après avoir quitté l’école, j’ai commencé à aider mon père dans son commerce.
Mon père a commencé son commerce de zéro. Il n’avait rien quand nous avons quitté l’Irak car notre maison avait brûlé dans un incendie à cause de la guerre. J’ai tant souffert au Maroc car toutes mes pièces d’identité ont été brûlées aussi.

 

Des problèmes avec la police marocaine…

C’était ma dernière expérience au Maroc, une histoire de cupidité. Je travaillais pour un français qui avait, avec sa femme, un camping à Dakhla.
Nous avons travaillé ensemble, tous les 3, sur ce projet avant qu’ils partent en France et me laissent gérer le projet tout seul pendant 3 ans avec toutes les responsabilités que cela implique. Un jour, des gens qui ont prétendu avoir aidé le couple français à établir le camping sont venus chez moi me demander de leur passer le projet sous prétexte qu’ils seraient des cofondateurs et que le couple avec lequel j’ai travaillé serait mort. J’ai refusé d’obéir en leur disant que les 2 français sont encore vivants et qu’ils comptent sur moi pour garder et gérer le projet jusqu’à ce qu’ils reviennent.

Alors, ces gens-là m’ont envoyé des agents de l’autorité locale et ils ont essayé plusieurs fois de me piéger pour arriver à leur fin. On m’a envoyé un agent qui m’a accusé d’avoir pavé une voie menant au camping sans autorisation. Cette voie, nous l’avons ouverte par initiative personnelle à cause de la marginalisation de la zone et de l’absence de services publics là où est le camping. Au lieu de m’encourager, on me demande une autorisation !

Je m’en fichais de ces reproches car je savais que j’étais la cible d’un piège pour me neutraliser afin de saisir le camping. Finalement, ils ont réussi à prendre la main du camping pendant une année entière. Une nuit, vers trois heures du matin, alors que je dormais dans ma chambre j’ai entendu la police arriver et entrer au camping, et on m’a dit que je devais l’ accompagner au commissariat.

La police judiciaire m’a accusé d’avoir hébergé un fugitif dans mon camping et de l’avoir aidé à fuir la justice. Ils ont monté un lourd dossier juridique disant que j’avais résisté à mon arrestation.
Avant que je sois interpellé devant le procureur du roi, je ne savais même pas de quoi j’étais accusé. On m’a ordonné de signer le procès verbal d’audition mais j’ai refusé. J’ai demandé de voir ce qui y était écrit avant de le soussigner. C’était un grand texte où rien n’était vrai. J’ai été condamné à 8 mois de prison ferme, j’avais 27 ans à ce moment-là.

Après, J’ai passé 2 ans au Maroc pendant lesquels j’avais essayé de travailler, et j’ai rencontré ma femme future. J’ai quitté mon pays, et je suis venu à Marseille.

 

Travailler au Maroc avec un casier judiciaire

Après l’incarcération que j’ai passée dans les prisons de Dakhla et Laâyoune, j’ai décidé de quitter ma ville et de travailler ailleurs. L’expérience de la prison a marqué négativement ma carrière et ma vie, car au Maroc on perd beaucoup de droits en ayant un casier judiciaire “sale”. Tu sens que la société a perdu toute confiance en toi.

Lorsque tu as un casier judiciaire, tu sens que tout a changé dans ta vie, moralement et psychiquement. Par exemple, beaucoup d’employeurs te demandent de fournir un certificat de “bonne conduite”, et c’est demandé même pour poursuivre des études ou pour s’inscrire dans une formation professionnelle. En France par exemple, on fournit de l’aide aux gens ayant été emprisonnés pour leur réinsertion dans la société, mais au Maroc tu sens que tu es une personne non désirée, comme si ta vie était finie.

C’est au commissariat qu’on cherche ce certificat, il est censé être vierge ou sinon être marqué d’un grand “ Non – Oui “, ce qui est un lourd fardeau que tu porteras sur tes épaules tout le reste de ta vie.

Ce qui m’a aidé à trouver du travail c’est le fait que je me déplaçais beaucoup à plusieurs endroits le long de la côte atlantique dans les villages de surf et de pêche, et j’ai établi de nombreuses relations avec les groupes de touristes , marocains ou étrangers. Après avoir quitté Dakhla, j’ai été aidé par des gens d’Imsouane, d’Agadir, et d’Essaouira avec lesquels j’ai travaillé et ils m’ont beaucoup fait confiance car ils savaient que j’avais de l’expérience comme gérant de camping et que je n’étais pas coupable de ce dont j’étais accusé. J’étais respecté, et on ne m’a pas traité comme un ex-condamné.

 

Poursuivre sa vie à Marseille

Ma femme est de nationalité française. Notre relation amoureuse est devenue sérieuse et j’ai pensé que nous ne pourrions pas vivre au Maroc et que nous devions quitter le pays. Surtout que c’était difficile pour ma femme de vivre avec les traditions locales alors que je n’avais pas de soucis à vivre en France. Alors nous sommes venus. Pour moi, ce n’était pas la première fois que je rentrais dans un pays de l’Union Européenne car j’avais déjà visité les Îles Canaries plusieurs fois puisqu’on peut y aller de Dakhla en bateau. Je pense que j’y suis allé 3 fois. C’était le sens de la découverte qui m’a amené à y aller quand j’étais adolescent avec mes copains. Nous avons eu de nombreuses aventures, dangereuses parfois, et nous étions poussés par notre curiosité.

J’ai rencontré ma femme à Essaouira au festival de la musique de Gnawa pendant cette période de recherche d’emploi après ma sortie de prison. Vite, nous avons senti que nous étions faits l’un pour l’autre et c’était très bien. Soudainement, et malgré toutes les difficultés que nous avions rencontrées partout, les problèmes disparaissaient, et toutes les procédures administratives se passaient bien, je le jure.. c’est comme s’il y avait quelqu’un d’inconnu qui nous a aidé jusqu’au jour où je suis arrivé à Marseille.

Et tu te souviens de ce que t’as amené avec toi, de symbolique, en venant à Marseille?

Les photos de ma famille.
Je ne savais pas quoi apporter avec moi, même mes diplômes je les ai laissés au Maroc, et je ne suis venu qu’avec mon permis de conduire que j’ai réussi à l’obtenir seulement une semaine avant mon arrivée à Marseille car je n’ai eu ma carte nationale d’identité, qui est essentielle pour obtenir le permis à son tour, que très tard.

Quand je suis arrivé à Marseille, je n’ai pas senti que la ville m’était inconnue peut-être parce que j’ai été en Espagne 2 fois, que je suis venu du Maroc et que j’y ai beaucoup voyagé.
Quand je suis arrivé à l’aéroport, ma femme m’attendait et elle m’a amené avec elle à Marseille.

Les premiers mois étaient difficiles puisque je ne connaissais personne à part ma femme.
Ce qui a brisé ma solitude c’était la découverte d’un bar qui se situe sur la place de Notre Dame du Mont dont le gérant est un Palestinien et qui était assez fréquenté par des clients arabes et marocains.
Je m’y suis rendu pour la première fois afin de le découvrir et la deuxième fois j’y ai rencontré un Egyptien. Quand je lui ai dit que je venais du Maroc, il m’a présenté à toi et à d’autres jeunes marocains et arabes.

Ma plus grande préoccupation était de trouver un travail qui me permettrait de m’insérer dans ma nouvelle vie et de m’intégrer dans ma ville.

 

S’insérer grâce aux cours de langues de l’OFII et aux formations

Je me suis dit que la chose la plus importante à faire c’était d’apprendre et de m’éduquer. Malgré le fait que les responsables de l’orientation aient tenté de me rassurer sur mon niveau en français, je savais que, au contraire, mon niveau n’était pas aussi bon que je voulais et j’ai insisté sur l’apprentissage du français.
Finalement, je l’ai étudié à la suite d’un avis de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration.
J’y ai appris beaucoup de choses.
Au début, j’ai passé un test de niveau. Après, on m’a précisé le nombre d’heures qu’il me faudrait pour améliorer mon niveau : 150 heures. Je les ai prises en un seul mois. Les cours commençaient le matin à 08 heures et finissaient à midi. L’après-midi, ils commençaient à 14 heures et finissaient à 16 heures ou à 17 heures. En parallèle, j’ai fait connaissance avec quelques collègues.

En même temps, j’ai commencé à faire du volontariat au sein d’une association qui s’appelle La Cloche Marseille qui aide les personnes sans abri. Mon but était de connaître du monde dans l’optique de m’intégrer et d’élargir mon réseau de relations et d’activités. Je voulais tout simplement découvrir ce que je voulais faire.

Pour découvrir ce que je voulais faire, j’ai fait tous les boulots que j’ai trouvé, dans le ménage et autre.
Après avoir fini ma formation de français, j’ai participé à des rencontres et des ateliers d’orientation professionnelle. Je n’avais aucun diplôme professionnel puisque j’ai quitté l’école très tôt, au collège.
Je ne savais pas ce que je voulais suivre comme formation professionnelle, et je n’avais aucune préférence de métier.  En fait, je voulais juste travailler.

J’étais constamment informé des formations qui s’ouvraient et l’OFII m’a accompagné pour construire un projet professionnel. Cet accompagnement était obligatoire pour l’obtention du titre de séjour après l’expiration du visa qui n’était valide que pour un mois. L’OFII a suivi mon insertion professionnelle, ma situation de vie, et a évalué mon niveau de français pour juger si j’ai encore besoin de cours de langues.

Au début, je ne savais pas ce que je voulais vraiment faire comme travail, et donc j’ai tenté de travailler dans plusieurs domaines ce qui était difficile. Par exemple, j’ai travaillé comme tailleur de pierres, c’était un travail très dur et fatigant. Beaucoup de migrants et d’ex-condamnés le font.

C’est le Pôle Emploi qui m’a suggéré le travail en alternance : un jour de travail, et un jour de formation. Nous étions rémunérés 1000 euros par mois. L’entreprise dans laquelle je travaillais s’intéresse à la réhabilitation et la restauration de monuments historiques.

J’ai suivi cette formation pendant 8 mois et j’y ai appris le métier mais le plus important c’est que j’y ai appris à être rigoureux et ponctuel. On commençait le travail à 07 heures du matin. Cela veut dire qu’à 07 heures pile je devais être déjà là et que je devais me réveiller à 05 heures et demie, le temps de me préparer pour aller et arriver à l’heure voulue. J’ai appris à travailler à la française, ce qui est différent du travail au Maroc.

J’ai signé un contrat de travail de 6 mois, et on me l’a renouvelé pour 6 autres mois. On a droit à ce travail pendant un an mais quand la formation se termine tu dois trouver un travail tout seul. Durant le huitième mois de ce travail, j’ai trouvé une formation en photovoltaïque, et je m’y suis inscris.

Formation en électricité photovoltaïque : l’opportunité pour un emploi stable

J’ai découvert cette formation quand elle venait d’être créée dans le même centre de formation où je suivais ma première formation.

Un midi, j’étais en pause durant ma formation dans la taille des pierres et je suis sorti dans la cour pour préparer à manger et j’y ai rencontré le responsable de cette nouvelle formation. Il avait dans ses mains du matériel qu’il amenait dans la salle de formation. Je suis allé le voir et je lui ai demandé à quoi ça servait : il m’a parlé de l’ouverture d’une nouvelle formation dans le domaine de l’énergie solaire. Je lui ai demandé quelles étaient les conditions d’acceptation dans cette formation, et il m’a dit qu’un permis de conduire suffisait. (Achraf rit). Ce qui est ironique c’est le fait que le permis était le seul document que j’avais à ce moment-là. Le responsable m’a dit aussi que dans cette formation, on apprécie le travail manuel et je lui ai dit que j’ai passé 8 mois à tailler des pierres, et que cela signifie que j’étais bon en travail manuel et que j’étais un bon bricoleur.

Le Monsieur m’avait dit que l’entretien pour cette formation aura lieu le lendemain. J’en ai parlé à mes camarades, un Soudanais et un Algérien, et nous sommes allés ensemble voir le responsable.
Accéder à cette nouvelle formation voulait dire quitter la première et perdre notre rémunération qui était déjà insuffisante. Le seul revenu qui restait était l’assurance chômage de 600.  Le responsable m’a dit que la formation durerait 3 mois à temps plein (35 heures), et il m’a rassuré qu’après la formation, il y aurait de fortes chances pour que je sois recruté, et dans de meilleures conditions.

Nous étions 24 candidats pour 11 places.
Quand j’ai commencé la formation, même si j’avais un bon niveau pratique, c’était dur pour moi de suivre. Il y avait une forte concurrence, surtout avec les collègues français ou ayant déjà suivi leurs études en France. Je me rattrapais avec mon excellence pratique. J’ai obtenu plusieurs attestations dans ma formation, et parmi les onze diplômés de la promotion j’étais le premier à trouver un travail fixe.
Après la formation, je me suis reposé pendant 3 mois puisque j’ai passé 2 formations consécutives sans cesse, j’étais fatigué, surtout que durant la formation dans la taille de pierres je travaillais en parallèle dans des bars et des cafés pour boucler les fins de mois.

Une fois, J’étais dans un bar en train de regarder un match de football. Le bar était bondé et donc j’ai aidé le propriétaire à servir les clients et à gérer la situation. Après le match, Il m’a proposé de travailler avec lui 3 ou 4 heures par jour. Cela m’a fait gagner 44 euros par jour, c’est-à-dire le coût de mes cigarettes et de mes courses.

-Après ton repos de 3 mois, qu’est-ce que tu as fait ? 

Durant ce repos, j’ai rédigé un bon Curriculum Vitae (CV) comme j’avais appris dans le centre de formation. J’ai commencé à chercher sur le site indeed.fr et j’ai trouvé une annonce, j’ai posé ma candidature et on m’a appelé après avoir étudié mon CV pour passer un entretien. Après l’entretien, on m’a proposé de commencer le travail dans un mois. J’avais l’impression que mes employeurs étaient vraiment des gens sérieux et que tout irait bien. Le travail me manquait beaucoup et le temps passait plus lentement. Ils m’ont appelé une autre fois me demandant de commencer le travail dans une semaine seulement, au lieu de dans un mois entier. J’étais content.

Je suis allé signer le contrat de travail et on m’a proposé qu’un contrat d’un mois comme période d’essai après quoi les décisions seront prises. Je l’ai signé et j’ai commencé mon travail. Après cette période, on m’a proposé un nouveau contrat de 3 mois après lequel j’ai signé un contrat à durée indéterminée.
Le salaire était assez élevé par rapport aux précédents. J’ai également été remboursé pour mes déplacements. Le salaire était élevé dès le premier mois de travail.

-Comment le compares-tu avec ton ancien travail ? 

Les deux exigent beaucoup d’effort physique mais il y a une grande différence de salaire. Maintenant, je m’occupe des installations électriques. Je pense que c’est un bon métier. Il me permet aussi de découvrir plusieurs endroits en France.

De Dakhla à Marseille : s’investir dans sa nouvelle ville malgré le mal du pays

-Quels sont les éléments qui t’ont aidé en termes d’intégration dans ta ville ?

J’avais la foi qu’il faut être sérieux. Je n’ai jamais été absent et je n’ai jamais raté de rendez-vous. Je travaille sérieusement.

-Supposons que la personne que tu étais en 2017 était venue à Marseille aujourd’hui, ou vas-tu l’accompagner pour découvrir la ville ?

Sur la côte, sûrement au Vieux-Port. Ce serait le choix par défaut, et après, au Cours Julien. Là-bas tu trouves une mixité de gens, de peuples, et de langues différentes, et au sein de cette mixité et diversité tu ne sens guère que tu es un étranger, puisque tout le monde l’est, et tu te familiarises avec ta situation d’étranger.

– A ton avis, qu’est-ce qui est indispensable pour bien vivre dans cette ville, ou dans le pays en général ?

Je pense que c’est la langue. C’est un élément essentiel car les gens sont variés. Ce que je veux, peut-être qu’’autrui ne le veut pas. La langue est là pour qu’on se comprenne entre nous.

J’estime que j’ai eu beaucoup de chance concernant le travail et la stabilité. La stabilité sociale rend facile la stabilité morale et psychique. Quand t’as une stabilité au travail, tu ‘’oses’’ penser à améliorer ta vie et à changer ton futur que ce soit ici ou au Maroc. Avant de travailler, tout est tellement sombre que tu n’arrives pas à penser clairement à ton futur et s’ajoute à cela le fait que tu es obligé d’aider ta famille au Maroc. Les gens imaginent que t’es déjà riche et que tu gagnes ta vie facilement et sans aucune difficulté alors que l’effort physique et mental que je fais pour vivre ici, en France, est beaucoup plus fatigant.

Quand j’étais à Dakhla j’étais vraiment chez moi, je connais “les astuces et les codes de la vie”. Je pouvais résoudre facilement les problèmes de là-bas parce que je comprenais comment ça marche, il s’agit de là où je me sens à ma place.

-Quel conseil peux-tu donner à toi-même en 2018 ?

Je lui aurais conseillé de s’aider lui-même, et de ne pas perdre de temps. Ici, tu peux recevoir de l’aide auprès des institutions, mais il faut quand même s’aider soi-même, et doubler d‘efforts dans la recherche et pour avoir des relations. Il faut également avoir beaucoup de patience. Il ne faut pas avoir l’illusion que tout ira bien simplement en arrivant en Europe. Il faut montrer son sérieux, surtout que je suis un migrant, pas un français.
Les français ont toujours un avantage de formation, de compétences et de moyens.

Dans une formation quelconque, le migrant fait ce qu’il fait pour sauver sa peau et travailler afin de sortir de sa crise. Le français a d’autres cartes à jouer, il a d’autres moyens pour s’en sortir.

 -Qu’est-ce qu’il te manque pour trouver cette place ?

Ce n’est pas possible. La confiance est établie avec les proches et les amis lentement et au cours de plusieurs années, non pas rapidement. T’as besoin d’investir beaucoup de temps pour que les gens te connaissent. Maintenant, je sens qu’il me faut beaucoup de temps pour établir des relations avec les autres, alors qu’au Maroc, ma ville était, pour moi, comme une grande maison.

Mon entourage et la convivialité me manquent. Tu peux vivre sans ou avec des objets, mais pas sans entourage.

J’essaie de ne pas trop penser à Dakhla car, quand j’y pense, ma pensée devient confuse, et je souffre. C’est mieux de se concentrer sur ici, et de penser à ce que je peux faire et comment le faire au lieu de penser à mon origine et d‘y rester emprisonné par le chagrin, la nostalgie, et par le manque de ma famille.

Au Maroc, personne ne s’inquiète de ce que tu veux faire personnellement de ta vie, et de ce que tu veux être. Je sens qu’au Maroc on n’a ni la chance, ni le droit de le faire, et tu vis sans même te poser la question.

Ici il s’agit d’un droit. Dès que tu t’intègres aux normes d’ici, tu commences automatiquement à te poser la question et à trouver une réponse. Tu penses à quoi faire, à tes objectifs d’ici à 10 ans par exemple, et à comment s’appuyer sur tes points forts, comment surmonter et t’adapter à tes difficultés. Tu cherches des solutions et tu planifies tes projets au préalable.

-Qu’est-ce qu’il peut te faire sentir chez toi ici, et à ta place ?

C’est impossible.

-Alors, comment s’approcher de ce sentiment d’intégration ?

Le travail, les relations avec d’autres gens, et leur accumulation au cours du temps. C’est aussi l’indépendance et l’autonomie.

Malgré tous les efforts, il faut continuer de faire de son mieux. Il faut que j’invite mes parents chez moi pour visiter ma ville et ce pays, que je donne de l’espoir à mon frère et que je l’aide à tracer sa propre route.

-Penses-tu changer de ville ? 

Je me pose fréquemment la question, mais je n’ai pas encore décidé de changer. J’aimerais bien visiter d’autres villes et essayer de vivre ailleurs mais maintenant je ne peux pas. En France, quand on a l’argent on n’a plus le temps, quand on a le temps on n’a plus l’argent.

 

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