Récit de Mona

Briser les stéréotypes de la «beurette»

De mon enfance à Casa à mon arrivée à Rabat 

Les grandes villes comme Paris me font peur. Elles me rappellent Casablanca où j’ai grandi. Même si je suis attachée à Casa, je n’ai pas l’impression d’y avoir réellement vécu :

 J’ai toujours été trop couvée par ma famille qui m’a empêchée de vraiment sortir et de confronter le monde avec ses dangers, sa laideur et sa misère. Je n’ai véritablement commencé à ouvrir mes yeux sur le monde que lorsque j’ai emménagé à Rabat après le bac. 

Rabat est une ville plus propice à la découverte du monde pour moi : c’est d’abord une plus petite ville, plus sécurisée, moins agressive. Mais surtout, j’y ai fait des rencontres formidables : des gens intéressants, intellectuellement stimulants, des expériences enrichissantes. C’est pour ça que je suis convaincue que, si jamais je décide de rentrer m’installer au Maroc, je ne pourrais le faire qu’à Rabat. Donc en venant en France, j’ai tout fait pour éviter Paris même s’il y avait des opportunités de formations qui auraient pu m’intéresser. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de l’assimiler à Casablanca en quelque sorte, une grande ville pleine d’inconnus mais cette fois sans ma famille pour me protéger. J’ai donc choisi la ville d’Aix-en-Provence, sans savoir que c’était une petite ville bourgeoise où je ne retrouverais jamais cette dynamique urbaine et alternative que je cherchais désespérément après avoir quitté Rabat. Mais de toute façon, je devais prioriser mes études et la qualité de la formation avant tout. J’y ai passé un an et demi pour mon master en information, communication et étude des médias à l’EJCAM d’Aix-Marseille. 

 

Etudier avec un trouble de l’attention (TDAH)

J’ai choisi un master de recherche même si la théorie n’a jamais vraiment été ma tasse de thé. Encore plus avec mon trouble de l’attention (TDAH) : il était difficile d’assister à des cours magistraux de plusieurs heures. Mais j’ai toujours porté l’ambition de faire de l’enseignement et pour cela il fallait choisir l’option qui m’ouvrirait les portes d’un doctorat. J’ai pris ça comme un défi, une aventure dans laquelle je m’engageais. Et puis, la recherche est un domaine qui m’intéressait dans la mesure où il permet d’appréhender les concepts étudiés en profondeur, de comprendre les mécanismes derrière, et pas seulement apprendre des formules toutes faites à exécuter aveuglément. Cela dit, je compte bien enchaîner avec une année d’alternance ou deux après mon master afin de pallier au manque de pratique et de cours professionnalisants.

J’ai été diagnostiquée il y a quelques mois à peine ; mon médecin a été étonné de connaître mon parcours et mes projets et d’apprendre que je me suis toujours assez bien débrouillée dans mes études. Selon lui, les personnes atteintes d’un TDAH aussi important que le mien ont beaucoup de mal avec les études ce qui explique un taux de décrochage scolaire particulièrement élevé. Il m’a donc recommandé de passer un test de QI et m’a tout de même prescrit un traitement neurologique pour m’aider à mieux gérer mon trouble. 

J’ai beaucoup d’espoir que cela m’aide à la préparation de mon mémoire de fin d’études que je dois faire en parallèle de mon stage qui commence demain. Mais je pense que rien que le fait d’être diagnostiquée par des professionnels spécialisés et en partie prise en charge par la sécurité sociale est une chance que je n’aurais sûrement pas eu au Maroc.

 Ça a été compliqué de trouver un stage en pleine crise sanitaire, surtout que j’évitais à tout prix Paris bien qu’il y ait pas mal d’opportunités là-bas. J’ai donc dû accepter une offre de 5 mois dans une boite de communication digitale basée sur Marseille, même si cela ne correspondait pas exactement à ce que je recherchais.

 Je voulais un stage dans la communication institutionnelle, au sein d’une fondation, d’un cabinet de lobbying, d’un organisme politique ou à but non lucratif ou dans l’industrie culturelle. Si j’ai choisi de faire de la com’ à la base, ce n’était pas pour aider les entreprises à mieux vendre leurs produits, mais plutôt pour promouvoir des idées auxquelles j’adhère et défendre des causes qui me tiennent à cœur. Mais il se trouve que je n’avais pas trop de choix et il fallait que je sauve mon année. Il faut dire aussi que je commençais à apprécier la vie dans le sud, surtout après avoir rencontré mon copain que j’ai connu à l’école. 

 

De la difficulté de tisser des liens 

C’est en réalité la seule vraie connexion que j’ai eu depuis mon arrivée en France. Pour une raison que j’ignore, j’ai du mal à nouer de vraies amitiés ici. Certes, le contexte actuel n’aide pas, mais je sens quand même que c’est différent. Pourtant j’ai toujours été quelqu’un de très sociable.

 A Rabat, ma vie sociale et affective était intense. Ici, j’ai l’impression d’être en déphasage avec les autres. Bien qu’on trouve que je m’adapte bien à la société française, j’ai l’impression que c’est la société française qui ne cherche pas à s’adapter à la différence. Je ne pense pas que les gens font ça consciemment, et c’est surement dû à des années de rapports de forces et de domination culturelle inhérents à l’histoire coloniale, mais j’ai l’impression que la mentalité qui règne ici est tellement ethnocentriste (de par l’éducation) que les gens s’attendent toujours à ce que tu fasses tout le chemin vers eux, pour les comprendre, parler leur langue, rire à leur humour, avoir leur références. Mais jamais l’inverse. Et ce n’est pas forcément par malveillance, c’est juste qu’ils n’ont pas été préparés à faire cet effort, contrairement à nous.

 D’ailleurs c’est pour cette raison que je ne m’imaginais pas avec un non marocain. Je ne me voyais pas -dans le cadre d’une relation sérieuse- avoir à faire cet effort constamment, toute ma vie. Je ne me voyais pas devoir traduire chaque poème qui me touche, chaque passage d’une chanson d’Oum Kalthoum qui m’enivre, d’expliquer chaque blague qui me fait rire… Et ça finit par gâcher tout le charme de la chose. Je sais car j’ai déjà vécu ça auparavant avec un jeune turc que j’avais rencontré lors d’un échange ; mais là encore c’était différent et l’écart culturel était moins important. C’est toujours beau au début, la différence est stimulante mais à bout, cela devient épuisant. 

Mon copain –qui est français- a heureusement cette capacité à prendre du recul par rapport aux choses, il est ouvert et à l’écoute. Il est prêt à déconstruire les idées préconçues, faire l’effort par lui-même de s’éduquer et réapprendre de nouvelles choses. Et j’en suis profondément reconnaissante car sans lui ma vie à Marseille n’aurait pas été la même. En ce qui concerne ma propre expérience de la vie à Marseille, je suis assez mitigée. C’est une grande ville aussi et pour le coup, elle se rapproche plus de la vie à Casablanca que Paris ou toute autre ville française. 

 

Marseille, la ville qui bouillonne 

C’est une ville qui bouillonne, hétérogène, avec plein de contradictions, du danger et de la sympathie. Une vraie métropole, un joyeux chaos, avec plein de soleil. Comme pour le climat doux et méditerranéen de Marseille, je cherchais de la familiarité. Et à Marseille, j’en ai trouvé. Je me suis faite agressée avec mon copain plusieurs fois dans la rue, mais il suffisait que je dise 2 mots en arabe pour qu’on nous laisse tranquille. C’est drôle mais triste.

Cependant, j’ai aussi retrouvé de la chaleur humaine : dans le bus, dans la rue, dans les files d’attentes… Les gens sont plutôt avenants et on sent généralement de la bienveillance. Je n’ai malheureusement pas vraiment eu l’occasion de bien visiter tous les recoins de la ville, et c’est pour cela que j’ai encore du mal à me l’approprier.

Mais au Cours Julien par exemple, je retrouve un peu de ce que j’ai aimé à Rabat : une dynamique culturelle alternative, une jeunesse dissidente, une ambiance underground. Cela dit, si je devais choisir un endroit qui représente le plus fidèlement la vie à Marseille, ce serait la Cannebière ou le Vieux port : on y voit la mixité, le bouillonnement, et même le danger…On sent bien que l’on est à Marseille.

 

Chercher un travail en étant une jeune arabe

 Être une jeune fille « arabe » seule qui cherche un job ou un stage à Marseille, c’est compliqué aussi. Qu’on le veuille ou non, il y a toujours ce stéréotype de la « beurette » ; difficile à définir de manière précise mais qui généralement désigne une jeune femme issue de l’immigration maghrébine, le plus souvent célibataire, intellectuellement « moyenne», venant d’un milieu relativement précaire. 

Ce n’est pas forcément le genre de profil que l’on privilégie en entreprise malheureusement, surtout lorsqu’on y ajoute tous les stéréotypes qu’implique le fait d’être de descendance maghrébine en Europe. Mais j’ai remarqué que dans mon cas, lorsqu’on se penche sur mon dossier et qu’on voit que je ne corresponds pas forcément à cette représentation, cela intrigue ; du coup on m’appelle, on cherche à me faire passer un entretien, on remarque que je n’ai pas du tout d’accent, on trouve ça « surprenant »….etc. On accepte alors de te donner une chance, mais il y a toujours ce fameux effort d’adaptation à faire et ce long chemin à parcourir seule vers les autres… Ce chemin que je n’aurais pas eu à faire dans mon pays.