Récit de Gabriela

L’arrivée, en tant qu’assistante de langue

Je suis arrivée à Marseille en 2009, pour y travailler en tant qu’assistante de langue espagnole dans un lycée, dans le cadre d’un Programme du Ministère de l’Éducation français. J’étais déjà passée par la France plus tôt, en 2006 : une année d’étude, quand j’étais à la fac.

Du coup, j’arrivais toujours avec un cadre académique, professionnel ou institutionnel bien en place, qui rendait les choses faciles du point de vue des démarches administratives.

Le choix de la France était aussi lié à mes études de langue étrangères : terminé la Fac, j’avais envie de pratiquer la langue, de m’améliorer. Les expériences professionnelles proposées aux hispanophones ne manquaient pas : le Ministère français était en demande d’assistants de langues et proposait des courtes collaborations aux jeunes diplômés.

Le fait d’être venus en réponse à des besoins de l’éducation nationale nous a simplifié partiellement les démarches : nous n’avons pas dû nous rendre en Préfecture. Par contre, nous devions quand même faire des gestions avec l’OFII, la CPAM, chercher un logement.

En général, à la fin de 3 / 6 mois de contrat, les gens rentraient dans leurs pays respectifs ; cette année-là, nous n’étions que 5 à vouloir rester ici parmi tous les collaborateurs embauchés dans le cadre de ce Programme, dont seulement 3 latino-américains.

À la fin de cette période, les choses sont devenues bien plus compliquées : je devais prolonger mes droits de séjour, trouver un emploi… en gros ça n’a pas été très facile – ni pour moi, ni pour les institutions – de comprendre comment passer de la condition de travailleur temporaire à celle de travailleur qui décide de s’installer en France.

J’ai initialement travaillé comme professeur d’espagnol, remplaçante dans des lycées.

Côté papiers, j’ai passé douze mois avec un simple récépissé de la Préfecture, que je devais renouveler tous les trois mois, en me rendant à la Préfecture à chaque fois. Pour compléter mon dossier, qui apparemment posait des problèmes, j’ai dû me rendre à plusieurs reprises à la Direction du Travail (vers Périer), pour obtenir des pièces justificatives de mon parcours professionnel depuis mon entrée dans le pays.

Pour essayer d’y voir plus clair, je me suis rendue à la CIMADE, où j’ai eu un bon accompagnement.

Pour obtenir un titre de séjour, les critères étaient plutôt stricts : ils regardent le type de contrat de travail, les heures travaillées, le salaire et surtout le poste que tu occupes. Si tu as trouvé un emploi directement avec une entreprise, ça ne te servira pas pour obtenir le droit de rester en France. En fait, le poste que tu occupes doit avoir été publié un certain temps  sur le site du Pôle Emploi avant ton embauche. C’est une façon de vérifier que tu n’es pas en train d’occuper un poste qui pourrait intéresser un français.

Donc, cette première année, même si j’ai beaucoup travaillé, je n’ai pas eu le permis de séjour, puisque mon dossier ne remplissait pas ces critères. Ni le salaire, ni le poste que j’occupais ne correspondaient aux exigences de la Préfecture.

C’est le moment où j’ai été le plus proche de recevoir un Obligation de quitter le territoire français (OQTF)…qui à l’époque s’appelait encore « Invitation de quitter… ». Ils ont changé ‘invitation’ en ‘obligation’

 

Le statut d’étudiant

Ce qui m’a sauvé de cette procédure, c’est que j’avais décidé, à la fin de cette année passée à travailler, de retourner à la fac, pour faire un master. Avant que l’OQTF ne me soit envoyé, j’ai eu un statut d’étudiant, et les choses sont devenues bien plus faciles. Les critères stricts que je n’avais pas pu respecter auparavant ne s’appliquaient plus à ma nouvelle condition. Avec les papiers de la fac je me sentais, d’une certaine façon, protégée.

J’ai fait un premier Master Européen, pour lequel j’ai quitté la France pendant plusieurs mois. J’ai fait des études à Besançon, à Faro (Portugal) et à Barcelone (Espagne).  Et bien entendu, mes droits de séjour en France ne valaient pas dans les autres pays européens.

Tous les 5 mois je devais changer de visa : j’ai commencé par me rendre au consulat portugais de Marseille, pour demander un visa étudiant de 5 mois. Je crois que c’était une situation particulière pour eux aussi : je faisais des démarches en tant que chilienne depuis le sol français. En tout cas, tout s’est bien passé, je pense même qu’ils ont œuvré, pour ce qui était dans leurs possibilités, pour que je puisse poursuivre mes études dans leur pays.

Vers la fin des 5 mois à Faro, je ne savais pas très bien comment je devais procéder : pouvais-je obtenir un visa pour l’Espagne depuis le Portugal, en étant une chilienne domiciliée en France ?

Finalement, j’ai résolu les choses en rentrant en France et en faisant les démarches depuis Paris : mon visa étudiant français était encore en cours de validité, donc j’ai pu rentrer et me rendre à l’ambassade espagnole. J’avais juste un problème de temps, puisque les cours recommençaient de suite à Barcelone. Mais tout s’est bien passé, ils ont été très rapides, et en plus avec la bonne surprise qu’il ne fallait pas payer pour le visa. Je me préparais à payer entre 50 et 90 euros, comme d’habitude, et en fait ils m’ont informé qu’en tant qu’étudiant le visa espagnol était gratuit.

Ça a été en tout cas une période compliquée du point de vue financier : le Master était subventionné avec des bourses Erasmus Mundus. Ces aides sont destinées à des étudiants soit européens soit extra-européens. Dans le deuxième cas, les montants sont plus importants, notamment pour permettre aux étudiants de rentrer une fois par an voir la famille.

Cependant, dans mon cas, ils ont argumenté que j’habitais déjà en Europe depuis plus de 12 mois, donc ils m’ont attribué la bourse qu’ils donnent normalement aux européens.

Et en plus, avec l’Erasmus Mundus tu n’as pas le droit de travailler à côté… et par rapport aux autres étudiants, je ne pouvais pas non plus compter sur le soutien de la famille, la mienne étant loin et pas en mesure de m’aider économiquement.

L’année suivante j’ai continué à étudier, avec un Master à Marseille qui correspondait à mes aspirations professionnelles, dans l’édition littéraire. Dans ce cas, je n’avais pas de bourse, mais j’ai repris rapidement à travailler pour pouvoir me le payer.

La situation actuelle: nouveau changement de statut

Terminé les études, on arrive à ma condition actuelle : j’ai un titre de séjour temporaire dénommé « étudiant après master professionnel en recherche de travail ». C’est une plage temporaire, une APS, autorisation provisoire de séjour (12 mois) qu’on te concède pour trouver un emploi dans le domaine de tes études, avec les mêmes exigences des cas précédents en termes de salaire, type de poste, publication des offres sur Pôle Emploi :

– avoir un CDI ou plusieurs CDD qui correspondent à un temps complet

– avoir un salaire égal ou supérieur à 1,5 SMIC (un SMIC et demi)

– avoir signé le contrat en passant par le Pôle Emploi

Pour ce que j’ai appris, il y a plusieurs cas de figure pour obtenir un permis de séjour pour motifs professionnels : tu peux présenter une demande en tant que travailleur indépendant (auto entrepreneur), ou bien salarié, ou bien comme employé dans le secteur culturel. Dans ce cas, c’est la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) qui s’occupe de valider ton dossier.

Je crois que désormais pour moi ça devient plus intéressant de passer par la DRAC, du moment qu’avec le parcours que j’ai suivi, je trouve des emplois dans le secteur culturel. Je dois encore me renseigner, mais j’espère que de cette façon on puisse éviter au moins certains des critères appliqués aux salariés tout court, qui me semblent franchement un peu abusés.

Cette année j’ai travaillé à temps partiel pour la librairie Histoire de l’Oeil, pour une association de commerce équitable qui est en train de développer un projet de vente de livres (en contrat aidé) et dernièrement j’ai commencé à travailler à l’Alcazar, pour remplacer des employés pendant la période des vacances. Je garde aussi un enfant, dont les parents ont été très corrects et ont voulu m’embaucher en CDI.  Finalement, je travaille aussi ponctuellement dans un restaurant, mais sans contrat.

Entre temps, j’ai aussi pris la décision de commencer un projet personnel : après 7 ans ici, beaucoup d’expériences professionnelles différentes, beaucoup de formations, j’ai senti qu’il fallait que je m’investisse sur quelque chose à moi. Avec deux copines, nous avons loué un espace près du cours Julien, pour en faire un espace de création artisanale ; pour ce qui me concerne, je fais de la reliure. L’idée est qu’il soit un espace ouvert aussi à d’autres artistes / artisans de passage en ville, et qu’il puisse héberger aussi des événements de petit format, comme des concerts acoustiques, des expositions…

Le travail ne me manque pas ! Mais je n’ai pas encore présenté mes papiers à la Préfecture, puisque j’ai peur que ça ne passe pas, puisque ce ne sont pas que des emplois dans mon secteur, liés au Master que j’ai suivi, et qu’en plus en sommant tous les salaires je n’arrivais pas aux SMIC et demi qui m’est demandé.

À la rentrée je continuerai à travailler pour la librairie : il faut que je me renseigne pour savoir si ça me donne droit à demander le séjour en passant par la DRAC.  Et à côté, je continuerai à chercher un contrat dans une association du secteur culturel.

Il y aussi des questions de style de vie et d’ambitions qui me font douter: la Préfecture me demande un certain niveau de vie, qui n’est peut-être pas celui que je souhaite avoir. Par exemple, je n’ai pas l’ambition de gagner beaucoup d’argent, ou de devenir cadre. Les droits de séjour ont aussi un impact direct sur le modèle de vie qu’on choisit pour soi : quelqu’un pourrait préférer travailler à temps partiel, en gagnant un salaire modeste et en réduisant ses dépenses inutiles, en mutualisant celles qui sont nécessaires (logement, alimentation) : c’est notamment le cas, souvent, pour les migrants, qui développent des réseaux et des styles de vie qui leur permettent de vivre avec peu de moyens.

Pour ce qui me concerne, par exemple, je sais très bien que je n’ai pas envie de gagner un SMIC et demi ; je n’ai pas besoin de tout cet argent, et je n’ai pas envie de payer tous les impôts et cotisations qui suivraient, pour des droits dont probablement je ne bénéficierai pas, du moment que je ne compte pas rester toute ma vie en France. C’est de l’argent et du travail supplémentaire qu’on me demande et dont je n’ai pas besoin.

Et en 7 ans j’ai déjà contribué ! Je n’ai jamais arrêté de travailler : entre les impôts et le loyer, j’en ai donné de l’argent au pays!

C’est pas que je suis riche, mais j’ai pu vivre… j’ai pris les boulots pas bien payés, que les français ne veulent pas faire.

Les droits sociaux en France : une initiation

Terminé ma première année de collaboration avec le Ministère de l’éducation, j’avais du mal à comprendre les démarches à suivre : je pensais au système social simplement en termes de couverture santé et je visais à obtenir la mienne. Ça me semblait déjà quelque chose, surtout qu’au Chili beaucoup de monde n’a même pas ça et vit toute sa vie sans se poser de questions à ce sujet.

Au contraire, en France j’ai peu à peu compris le sens de cet ensemble de dispositifs et de la phrase qu’on entend souvent : « J’ai droit à… ». Ce sont sans doute des démarches à faire en tant que citoyen, mais aussi une façon de te contrôler.

Ici, j’ai dû faire l’effort de comprendre ce que ça signifie « droits sociaux », ça a été une sorte d’initiation pour moi… ça fait pas longtemps que j’ai l’impression de commencer à y voir plus clair ! La France est une sorte de pays-test en ce qui concerne la paperasse administrative !

Les retards, les erreurs de leur part sont fréquents, le citoyen a une responsabilité immense de veiller sur l’avancement de ses dossiers : il faut rappeler tout le temps, demander des justificatifs…

L’accès aux informations

Initialement j’étais très méfiante envers les associations qui sont supposées t’aider dans tes démarches ; je voulais résoudre mes problèmes toute seule, en m’y penchant dessus, en posant les bonnes questions aux différents interlocuteurs.

Au bout d’un certain temps, je me suis sentie dépassée : qu’est-ce qui se passait avec mon dossier, pourquoi ça n’avançait pas ?

J’ai donc décidé de faire appel à des structures, et notamment celle que je sentais le plus en mesure de m’offrir une aide réelle était la CIMADE. Ils travaillent beaucoup avec des mariages mixtes, ce qui n’était pas mon cas, mais ils m’ont quand même très bien conseillé. J’ai rencontré des avocats qui m’ont donné de bons conseils ; j’allais les rencontrer toutes les semaines, ils suivaient de près mon cas.

J’ai aussi rencontré d’autres structures de soutien aux étrangers, mais elles étaient visiblement trop liées à l’État… je ne ressentais aucune réelle envie de m’aider. Je pense par exemple au Centre d’accès au droit des étrangers (CADE), sur le boulevard Dugommier…

Des amis qui étaient passés par des situations similaires m’ont aussi beaucoup aidé, ainsi que des associations « amies », qui te connaissent et essayent de te soutenir, même si l’aide aux migrants n’est pas leur mission, en te fournissant des justificatifs ou des possibilités professionnelles qui te permettent de compléter tes dossiers pour le droit au séjour.

Pour ce qui me concerne, la situation n’est pas désespérée, dans le sens où dans mon pays il n’y a pas la guerre, l’économie ne va pas trop mal… j’ai d’autres solutions si finalement la Préfecture décide que je n’ai pas le droit de rester ici. Je suis en train de bouger pour remplir les conditions fixées par la loi, mais si je n’y parviens pas je ne ferai pas recours à des solutions alternatives qui existent (comme les mariages blancs, par exemple…).

Si la décision est négative, je l’accepterai, même si ça signifiera abandonner pas mal de choses : 7 ans vécus ici, le travail à la librairie, le projet d’atelier qu’on vient de lancer, la collaboration avec l’association de commerce équitable…

Je me prépare à cette possibilité, j’ai déjà connu des cas de personnes qui avaient un bon emploi, une situation qu’on aurait crue tranquille vis à vis de la Préfecture, et qui finalement à cause d’un critère non respecté se sont vus refuser la prolongation du séjour, sans pouvoir s’y opposer. J’en ai connu… des citoyens modèles, avec un bon contrat de travail, des bons travailleurs, parfois mieux que certains français : mais à partir du moment où nous, les étrangers, c’est plus facile de nous contrôler, on nous applique des critères plus exigeants.

Pour un français, le SMIC est considéré suffisant pour vivre : à nous on demande un SMIC et demi. Et je n’ai pas l’impression, en parlant avec des amis d’ici, qu’ils cherchent vraiment du boulot sur Pôle Emploi : c’est plutôt les réseaux personnels qui marchent. Nous, encore une fois, on est obligé de passer par Pôle Emploi, où on a plus de mal à correspondre aux profils recherchés. C’est plus difficile, pour un étranger, de justifier une connaissance du contexte et de la langue tel qu’on le demande dans les fiches de poste. Alors que dans ton réseau personnel, ce travail se fait tout seul, l’entreprise ou l’association qui cherche un employé te connaît déjà et connaît tes habilités, tes connaissances du contexte, ta personnalité…

Les sites institutionnels et les centres d’appel

J’ai regardé parfois les sites institutionnels, on y retrouve une information précise sur les papiers à fournir, par exemple, mais pas beaucoup plus. Personnellement, j’ai toujours préféré me rendre physiquement aux différents bureaux, pour parler directement et entendre de vive voix ce que je dois faire ; c’est que, bien que les lois soient nationales, chaque Préfecture les applique différemment, avec des nuances et des particularités que tu ne trouveras pas sur internet.

C’est comme ça partout, aussi dans les autres pays.

Quand tu appelles, la personne qui te répond n’a pas le temps de te répondre, on dirait que tu la déranges et l’empêches de faire son boulot. Tu reçois des réponses imprécises, ou carrément fausses.

Il y a aussi des forums de chiliens en France… mais quand j’y suis allée, j’ai trouvé toujours beaucoup de gens qui posent des questions, plus que de réponses !

Mon approche est de regarder internet en premier pour avoir une idée et des informations basiques, et de me rendre sur place après, pour les confirmer et compléter.

Et personnellement, je pense que j’ai aidé plus de monde en parlant directement avec les personnes qui en avaient besoin, que ce que j’aurais fait en postant des réponses sur des forums. J’ai donné ou reçu une information plus précise dans les échanges directs.