Récit de Nicolas
Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille
En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.
Nicolas est russe, arrivé à Marseille en août 2017. Il parle très bien français. Il est aujourd’hui hébergé en CADA mais il nous raconte ce qu’il a vécu avant d’être à l’abri.
Une première nuit d’errance
Je suis arrivé par la route (en camion), en fin de journée, j’ai marché et suis arrivé à la gare et là, un africain m’a montré la route pour aller à la Plateforme Asile. J’ai retenu le chemin pour y aller. Puis j’ai cherché à manger. Ensuite j’ai cherché un hôtel, le premier que j’ai fait était complet, je suis allé dans un autre hôtel à côté, là on m’a demandé 10 euros pour une chambre avec 3 autres hommes. Il devait être 21h. J’ai vu qu’il y avait des punaises dans cette chambre, on m’a dit : “D’accord on va vous donner une autre chambre.” Mais dans l’autre, j’ai vu qu’il y en avait aussi, alors j’ai laissé la lumière, je voulais me reposer un peu car j’avais planifié d’aller à la plateforme à 2h30, il devait être 22h. Mais l’autre homme qui est venu dans la chambre plus tard a éteint la lumière. Quand je me suis réveillé, j’ai vu deux punaises sur l’oreiller. Je me suis levé et suis allé le dire à la dame de l’accueil, elle m’a dit que ce n’était pas ça, mais moi je sais que c’est ça car j’en avais déjà vu en Russie. J’ai demandé mon argent, elle n’a pas voulu, mais après, elle a appelé quelqu’un et ils ont bien voulu me rendre les 10 euros. Et je suis parti. Arrivé dans la rue, je ne savais pas, mais j’ai bien compris qu’il faut être prudent. Je suis allé dans un café, là, j’ai fait connaissance avec le monsieur très gentil, il m’a fait connaître le café marocain, il fallait que je tienne jusqu’à 2h30, je lui ai demandé de rester jusque-là et il a bien voulu. Après, quand il est parti, je suis retourné à la gare Saint-Charles pour aller dans la salle d’attente, je ne savais pas qu’elle fermait, en Russie elle reste ouverte, on ne peut pas y dormir mais on peut rester. Je suis d’abord resté avec un vieux monsieur malade (il avait le diabète) car j’ai vu qu’il y avait des voleurs, un homme me tournait autour et il a mis sa main sur la poche de mon pantalon, j’étais un peu nerveux, j’avais mon sac à dos… Alors, je suis resté un peu avec cet homme âgé, je lui ai demandé les toilettes et il m’a dit qu’il n’y en avait pas à la gare, je lui ai dit que j’allais à la Plateforme il m’a dit que c’était dangereux, qu’il fallait rester dans les rues bien éclairées ou là où il y a la police mais j’ai préféré suivre le chemin que j’avais repéré parce que j’avais peur de me perdre. En arrivant à Colbert, puis dans la rue où se trouve la Plateforme, j’ai vu un homme allongé sur un matelas et des rats autour, il y avait un autre homme qui chantait. Pour ne pas rester là, je faisais des allers et venues entre la rue et Colbert. Mais il y a un homme à sa fenêtre qui m’a fait signe avec son téléphone, puis je l’ai vu dans la rue qui me suivait, alors j’ai vu deux ouvriers devant Franprix en train de peindre, je leur ai demandé de rester un peu avec eux. Un moment, cet homme s’est mis en face dans la rue et a commencé à se masturber et il m’appelait ! Il devait être 3h, cela a duré jusqu’à 5h, il me poursuivait, j’ai eu très peur ! Ensuite j’ai vu une famille, je les ai suivis et suis retourné à la Plateforme. Des gens étaient déjà là. Ça ouvre à 8H45.
Manger, dormir et éviter les dangers
A la Plateforme, on m’a donné deux listes, on m’a dit qu’il fallait appeler le 115, c’est ce que j’ai fait et on m’a donné la Joliette [Forbin, nda] jusqu’au 30 septembre. A Forbin, à 7h, il y a le petit déjeuner, un café avec un morceau de pain, c’est tout, et à 9h il faut quitter le foyer, à 18h c’est le repas du soir. J’ai fait une semaine comme ça, après, les autres Russes (ils sont Géorgiens) m’ont dit qu’il existe le NOGA. Mais c’était dangereux dans cet endroit, j’avais deux voisins à Forbin qui étaient drogués, ils fumaient et prenaient même des drogues dures. Il y a beaucoup de gens différents et fous.
Je ne savais pas au début mais après j’ai su qu’il y a les Restos du Cœur, le mardi et le jeudi, à la Canebière et à la Joliette.
J’ai fait un mois, puis après on peut renouveler 9 jours, mais la première fois on ne m’a rien donné, j’ai passé deux nuits dans la rue, j’ai vu que c’est dangereux, qu’il y a des fous partout à la gare, au Vieux Port, à la Timone, tu ne peux pas vraiment dormir, tu n’as pas le choix, dormir ou être en sécurité, tu dois toujours faire attention… J’ai compris, je ne suis pas resté, j’ai pris un train jusqu’à Miramas. Là-bas, j’ai beaucoup marché, c’était fatigant mais j’étais plus en sécurité. Puis j’ai rappelé le 115, on m’a renouvelé Forbin. J’ai parlé avec la PADA de tout ce que j’ai vécu, ce à quoi j’ai survécu, que l’on m’a demandé de l’argent : à Forbin 50 centimes par jour. J’avais 1 euro, j’ai payé et on m’obligeait encore, je leur ai dit que je n’avais pas d’argent, que je n’avais pas de document donc je n’avais pas le droit de travailler, je ne pouvais pas payer mais ça ne les intéressait pas, ils me sont restés complètement indifférents, ils vous disent que c’est comme ça sinon vous restez dans la rue. Mustafa (PADA) m’a fait un document disant que je suis vulnérable, qui donne droit de renouveler… mais ça ne sert à rien.
J’ai commencé à chercher des associations moi-même, personne ne me disait rien, au bout de deux ou trois semaines peut-être … J’ai beaucoup marché, je n’avais pas de ticket de métro donc je marchais, jusqu’à Bougainville même. Je suis allé au Collectif El Manba, ils m’ont hébergé deux nuits, ça s’est très bien passé. J’ai vu aussi le Secours Catholique, arrivé là-bas j’étais tellement épuisé de tout, du pays, des procédures, j’ai pleuré même… mais ils ne pouvaient pas m’aider, ils m’ont dit « nous n’avons pas la possibilité de vous héberger », ils m’ont fait remplir un dossier tout seul, comme je savais parler français, je n’avais pas besoin d’être aidé.
Quand j’appelais le 115, je disais « Non, non, pas à la Madrague ! » parce que j’avais vu comment c’était là-bas mais on me répondait « vous devez essayer, c’est votre choix de venir en France, vous devez prendre ce qu’on vous donne !» Il est arrivé que le 115 m’envoie à la Madrague, et arrivé là-bas, mon nom n’était pas sur la liste. J’ai dû aller à la Madrague une fois, je n’avais pas le choix, j’étais dans une chambre avec 5 personnes, ils fumaient, ils se volaient, j’ai parlé avec la Directrice mais elle ne pouvait rien faire, je ne pouvais pas changer… ils volaient les chaussures, il a fallu que je les cache dans une couverture, les douches sont très sales là-bas, tu peux facilement attraper des maladies, il y a des fous, ils font n’importe quoi, il y a beaucoup de gens marginalisés qui sont hors de contrôle psychologique et mental, on me draguait, on me faisait de mauvais signes… C’est très dangereux là-bas ! Je ne suis resté qu’une nuit, je me suis réveillé à 5h du matin et j’ai fait les cent pas en attendant le petit déjeuner. On m’avait dit « si tu as des problèmes, on peut changer de lieu d’hébergement », j’ai téléphoné au 115 en expliquant que la situation s’était aggravée mais on m’a répondu « c’est votre choix d’être là, c’est soit la Madrague, soit la rue », j’ai pleuré, on est resté 30 minutes au téléphone sans trouver aucune solution, il m’a dit d’aller à l’infirmerie et puis il a raccroché.
Je suis allé voir une association russe, ils m’ont dit « oui, nous allons vous aider mais pas maintenant, il faut d’abord aller à la Préfecture, après le 20 octobre nous pourrons vous trouver un hôtel et ensuite un appartement ».
Et puis le 115 m’a appelé pour me donner Forbin, j’étais très heureux, ils m’ont renouvelé 9 jours. Je suis allé à la Préfecture. Après, le 27 octobre, la famille de l’association russe m’a hébergé 3 jours et 3 nuits. Ensuite, Isabelle du Manba m’a appelé, elle m’a hébergé chez elle, ça s’est très bien passé. Je ne voulais pas trop déranger la famille, il y avait les enfants, c’était bien aussi mais quand même c’est mieux la liberté.
Une chambre à soi
Après, la Plateforme m’a appelé pour m’accorder une chambre en CADA, ils m’ont dit « félicitations, après tout ça… vous avez une place en CADA ! » J’étais sur la liste du CADA, ils m’ont dit que dans 2 semaines maximum je pouvais avoir la place, on s’est mis d’accord pour un rendez-vous, j’étais hébergé pendant ce temps et il y avait aussi la famille mais c’est mieux d’être dans le système.
L’appartement était très sale quand je suis arrivé dans la colocation, ils ne rangent pas, ils fument… j’en ai parlé, ils ont dit « nous allons te régler tous les problèmes », une dame est venue après ça, mais ça ne change pas, ils me réveillent la nuit… Mais ça va quand même, ce n’est pas grave.
J’ai appris le français à l’école russe, on a le choix entre le français et l’anglais, j’ai choisi français, je connais l’anglais aussi, j’ai appris la grammaire en allemand et en espagnol mais je ne parle pas. En Russie, le racisme c’est très difficile, j’ai changé de ville mais c’est pareil partout. C’était très important pour moi d’arriver en France, pour la langue que je connais et pour être en sécurité, il y avait les deux combinés, c’est pourquoi j’ai choisi la France.
S’impliquer dans la ville et attendre la réponse de demande d’asile
Depuis septembre je suis bénévole dans une association où je m’entraîne tous les jours, ARCHAOS, je fais l’entretien. C’est important pour moi la culture, j’ai cherché beaucoup, ils ne voulaient pas au début car je suis demandeur d’asile mais quand ils ont vu mes vidéos ils ont dit ok.
Je suis allé voir partout, au Secours Catholique, au Tipi, au NOGA , eux ne travaillent pas.
Le midi, je mange chez les Sœurs, quand j’ai fini de m’entraîner de 9h30 à 13h, c’est plus important pour moi que la nourriture, c’est la nourriture psychologique qui me donne des forces et m’inspire. Ils sont très gentils avec moi. Ça m’aide à oublier tous les soucis auxquels j’ai survécu.
A la Madrague j’observais la situation. Si je reçois la réponse positive de demandeur d’asile, j’aurais le droit de rester au CADA maximum 6 mois. Si c’est négatif, il y a une aide pour faire un recours. Aujourd’hui, j’ai reçu un message avec mon numéro disant que ma demande a bien été enregistrée et qu’un courrier va être envoyé au CADA boulevard de Strasbourg.
Quand je suis arrivé au CADA, j’ai perdu toutes mes forces, j’ai pu être enfin à l’aise mais je ne comprenais plus ce qui m’arrivait, je me suis tellement battu jusque-là que je me suis relâché et je me suis senti perdu. Maintenant ça va, j’ai repris mes esprits.
Un système administratif difficile
A l’OFII on m’a dit « vous comprenez, il n’y a pas de place, c’est pour les familles en priorité », alors j’ai eu de la chance. Pendant tout ce temps, on ne m’a pas parlé de médecin, si j’insistais, peut-être, mais non, je n’ai vu personne. Là, au CADA on me fait faire un examen antituberculeux, demain je vais faire une prise de sang.
Les gens qui travaillent dans le système sont indifférents. Il n’y a pas de système d’intégration ici. On m’a même demandé d’interpréter en anglais pour des africains. C’est un problème la langue, pour que les valeurs de la France soient défendues il faut plus ouvrir la culture française mais il n’y a rien ! Pour moi, ça va encore, je parle français, ils m’ont dit « vous devez chercher », mais c’est très difficile, alors pour quelqu’un qui ne parle pas du tout c’est encore plus dur ! C’est très bizarre, il n’y a pas de système d’intégration. Moi je suis russe, je suis le fruit de la Russie donc je dois avoir la mentalité et les valeurs russes, j’essaie de changer et d’accepter les valeurs d’ici mais je ne trouve pas d’établissements qui m’aident à améliorer mon niveau de langue. J’ai déjà le cirque et la musique, je ne sais pas si j’ai assez de temps…
Je fais des efforts pour être sociable mais d’autres sont plus refermés sur eux, ils ont survécu à de mauvaises histoires, et ils ne parlent pas français, ils ne sont pas intégrés. Dans les foyers, on m’a dit « Est-ce que tu voles ? Si tu ne voles pas, ça va être difficile de survivre ! »
Je suis allé à la Cimade aussi, c’est inutile car ils ne pouvaient rien, on a bavardé mais ça ne suffit pas. Je suis allé à Imaje Santé aussi, ils m’ont donné 4 rendez-vous pour être interprète pour eux mais pas pour m’aider. C’est El Manba et l’association russe qui m’ont aidé, les autres ont beaucoup parlé. L’association que j’ai vue c’est « Urgence Tchétchénie ».
La seule barrière, c’est la langue. Je ne comprends pas le système de cette société. On dit qu’en France le système social est très développé normalement. J’ai mis un mois pour comprendre le système.