Récit d’Amezian
Je m’appelle Amezian, maintenant je suis père et grand-père.
Quand je suis arrivé, j’avais des enfants en bas âge, qu’ il fallait scolariser. Depuis, deux sur trois ont fait des études supérieures.
Ma langue maternelle c’est le Kabyle. Je parle aussi Français, Arabe, Italien, et un peu d’Anglais.
Maintenant, je suis retraité depuis un peu plus de 14 ans, j’ai 80 ans.
On est parti d’Algérie dans le contexte du terrorisme, en 1994-95. Aussi pour des questions administratives tendues avec le pouvoir.
J’ai été cadre à Alger, et quand je suis parti je suis arrivé du côté de Toulon. Mais il y avait une dame que je connaissais depuis très longtemps qui était une camarade très engagée politiquement en France, ainsi que plusieurs autres camarades, qui m’ont aidé pour l’hébergement et les autres questions urgentes, les premiers temps.
Je n’avais rien quand je suis arrivé, que le RSA (à l’époque RMI, revenu minimum d’insertion), alors j’ai trouvé de l’aide parmi les militants de mon courant politique.
Même le choix d’arriver par Toulon, s’était fait sur la présence de mes camarades, il y avait plus de militants à Toulon et Paris, mais Paris ne m’intéressait pas… une grande ville, avec des difficultés de logement importantes. Et en plus, j’avais plus d’affinités avec les militants basés au sud.
On avait aussi de l’aide, des gens sur qui on pouvait compter, ici dans la région de Marseille, et on a fini par s’y installer trois ans plus tard, en 1997.
A Marseille, entre épices et livres…
A Marseille, on avait une amie connue en Algérie, qui est française (elle était coopérante), qui nous a aidé à trouver un logement, à le meubler et à scolariser les enfants.
J’ai commencé à travailler comme commerçant- épicier. En Algérie j’étais cadre supérieure, je suis devenu un commerçant en France… mais ça m’a beaucoup servi quand même. J’étais un petit épicier, mais je vendais aussi quelques bouquins, ce qui était remarqué par les gens de la fac, qui se sont posé des questions sur leur image de l’ “Arabe”: illettré, pas intéressé aux livres… Du coup, quand ils ont vu que j’avais toujours des livres dans les mains, ils se sont intéressés à tel point qu’ils m’ont proposé d’intervenir à l’université.
À Marseille, il y a plus de moyens que dans les villes comme Toulon, Avignon ou ailleurs. Le milieu associatif est beaucoup plus important à Marseille, les communications avec l’Algérie aussi, parce qu’il y avait plusieurs possibilités : l’avion, le port… c’est beaucoup plus simple. Et aussi, dans une petite ville, trouver du travail c’est toujours difficile, au moins de faire un atterrissage déjà préparé.
Le rapport entre l’Algérie et la France est quand même spécifique, très particulier, n’a rien avoir par exemple avec un pays comme l’Italie, même si j’aurais aimé vivre en Italie, ou en Espagne, en Grèce, ou au Maroc, dans tous les pays méditerranéens. En plus j’avais la nationalité Française, et j’ai fait les études en français, donc je n’avais pas des difficultés pour me sentir chez moi, même si culturellement.. on est bi- ou interculturel, c’est ça qui m’a poussé à venir en France, même si aujourd’hui je pense à partir de la France.
Comparant Marseille et Alger, je dis toujours la phrase de Marx: “Les pays sous-développés ont toutes les difficultés des pays développés, sans aucun de leurs avantages”. En plus , quand j’étais en Algérie ce n’était pas un pays ou l’on pouvait vivre sereinement, tu côtoyais constamment une mal-vie palpable et tu en souffrais.
En partant de l’Algérie, j’ai pris avec moi la collection de la Revue africaine, j’ai ramené des livres politiques et d’histoire, et l’archive de la famille, les photos, les vidéos, les carnets du membre de la famille, avec leurs écrits… J’ai ramené ça sur plusieurs voyages, parce qu’ à l’époque il y avait une ambiguïté: est ce que on est venu pour de bon ou pas? Et cette question est restée jusqu’à ce que les enfants grandissent, se marient… et aussi commencent à travailler pour donner un sentiment de stabilité, mais maintenant tout ça est fini. Je ne rentre plus sauf… je ne sais pas.. j’ai besoin de réfléchir…
Pour un jeune qui vient d’arriver, il faut trouver du travail, et commencer à construire sa vie. S’il a envie de fréquenter une femme c’est bien… Je lui dirai aussi de fréquenter la bibliothèque, les associations culturelles et les sociétés savantes.
Je propose par exemple des lieux et associations comme: Mille Babords, Casa Consolat,et les événements annuels comme les Rencontres d’Averroès… Il y a une association pour les gens qui viennent de chez nous, qui s’appelle Coup de soleil, qui est une association qui travaille avec l’Algérie et le Maroc : ils essayent de faire connaître le pays, et de promouvoir une réconciliation des algériens et français… Mais pour les jeunes il faut qu’ ils vivent leur jeunesse, et ne vieillissent pas rapidement.
Il faut aussi faire du bénévolat, c’est comme ça qu’on arrive à créer un réseau, peut être même fréquenter le café et faire des liens, les choses comme ça arrivent.
Aussi, il faut se débrouiller; par exemple, moi, je n’ai jamais fait l’épicier, mais ici je l’ai fait, et j’ai appris en faisant, pendant 6 ans, j’ai souffert, j’ai travaillé 14 heures par jours, mais c’était le prix à payer. C’est à dire, selon, ses conditions, selon son expérience, il y’a un prix à payer.. ça vaut peut-être le coup de suivre des cours du soir, pour continuer ses études… et aussi choisir ses fréquentations.
La relation avec le Pays : nostalgie, luttes, désillusions
Les gens me demandent souvent “Est ce que le Bled me manque”, je dis oui, et ils me demandent pourquoi je ne vais pas? je leur réponds que le pays qui me manque n’existe plus, ce n’est plus la même chose. Tout a changé, les mentalités, l’architecture des ville, les relations entre les individus, le savoir vivre ensemble, la solidarité entre les gens, l’éducation, la hogra… maintenant je discute avec les gens avec Bac +5, et beaucoup d’argent, mais sans aucun culture, mal logé même avec “des châteaux”, lorsqu’ils discutent ils parlent que de l’argent… “L’argent est devenu le cœur d’un monde sans cœur ».
Comment faire avec la nostalgie du pays?
Ça c’est très individuel comme sentiment, ça dépend de beaucoup de questions: les papiers, la langue, les conditions de vie ici, et aussi ce qu’on a laissé au pays… Moi, quand je suis arrivée, mes parents étaient morts, et la plupart de mes frères et sœurs étaient déjà ici… Certains viennent parfois me rendre visite, les autres au bled je les voit une fois par an, mais je ne les voyais pas plus quand je vivais là bas! Pour un jeune, avec les parents et frères et sœurs là-bas, c’est une situation différente, et la nostalgie se fait sentir d’une autre manière.
Ça veut dire quoi être Algérien à Marseille?
Ça dépend, en France on à une double situation: on a, soi-disant, un “statut particulier” que les autres immigrés. Je me réfère aux algériens, pas forcément à moi, parce que je suis algérien, mais j’ai le statut d’un français. Pour les algériens qui ont une carte de résidence ici, il y a beaucoup d’accords bilatéraux algéro-français, privilégiés, par exemple pour permettre à un algérien de démarrer une activité, acheter un bar ou café… Mais de l’autre côté il y a les césures du conflit algéro-français, qui n’est pas fini, et on le sent particulièrement dans le sud de la France. Aujourd’hui, avec la crise économique qui n’est pas encore finie, et le fascisme qui se montre ouvertement maintenant (avant il était caché), il parle ouvertement, le racisme parle… L’algérien est présenté comme le dangereux, le terroriste… Le contentieux avec le passé est encore ouvert, l’enseignement de la guerre d’Algérie date d’il y a très peu, des événement qui se sont passé en Algérie et qui font partie de l’histoire de la France sont omis, ce qui permet de faire perdurer l’histoire du bouc émissaire. Au fait les algériens ne sont ni plus dangereux ni moins dangereux que n’importe qui.
Je me considère comme un nord africain, et je considère qu’un des échecs d’Afrique du nord, c’est de ne pas avoir un mouvement unitaire prônant la formation d’un vrai ensemble unitaire. C’est comme ça qu’on pourrait peser contre l’Europe, l’Amérique, et la Chine. mais fragmenté comme ils sont, évidemment ils sont fragiles.
Et “Le Hirak”, comment tu l’as vécu d’ici?
J’en fais une double appréciation : c’était un mouvement extraordinaire, qu’aucun pays n’avait…La quantité était bien là, mais la qualité…. il y avait rien!
L’aspect politique était en dessous de tout, parce que les mots d’ordre ne prévoient rien de l’avenir, ils regardent tous au passé. C’est bien d’être contre le passé, mais il faut savoir ce qu’on veut, voir positif et avoir un projet. Et puis, quand on dit “Yettnahaw ga’e” (“Il faut qu’ ils dégagent tous”), mais on parle de qui, c’est qui “eux”?!
Et puis, il y a une situation plus spécifique en Algérie, qui est le problème de la rente… à chaque fois que la rente n’est plus capable de payer la paix social, il y a une rupture de l’allégeance du peuple vis à vis du pouvoir, et il faut sortir de ça, cesser d’être un ventre qu’il faut satisfaire!
Quelqu’un qui s’intéresse à la démocratie et aux droits de l’homme au Maghreb, tout en vivant à Marseille, comment peut-il participer d’ici de ton point de vue?
Il y a des mouvements et des associations, mais tu sais, “L’amicale”, une association liée au pouvoir algérien, fait un travail inimaginable dans le traçage et la casse de beaucoup des belles dynamiques et contrôle l’émigration et tous les mouvements politiques d’ici.
Il faut connaître l’histoire de l’Algérie, pour comprendre, parce qu’elle est complètement différente de l’histoire du Maroc ou de la Tunisie, qui étaient des protectorats. Dans les partis de gauche des deux pays, on trouvait des autochtones des classes populaires, des paysans, des ouvriers, avec bien sûr quelques étrangers.
Dans le cas algérien, c’est des européens qui l’ont fait, donc c’est des colons qui s’adressent aux “subalternes”, comme disait Gramsci… Le Parti Communiste algérien, par exemple, est né comme section du PCF !
Pour ça, pendant la colonisation, il ne s’est jamais prononcé pour l’indépendance… Tout ça fait sentir que le projet de la nation soit être porté par les partis nationalistes que les partis de gauche, ce qui a fait une réalité de l’inexistence des partis de gauche.
Les classes populaires algériennes ont fait un travail formidable dans la lutte pour la libération et en ont payé le plus grand prix, mais depuis ils ont laissé aux autres le soin de les représenter !
Qu’est-ce que tu conseillerais à un jeune maghrébin qui habite à Marseille et qui veut que les choses aillent bien au bled? Sur quel projet devrait-il miser?
Je ne sais pas comment ça va se présenter l’avenir, la situation va forcément évoluer au Maghreb et en Algérie cela ne peut se faire que par une révolution, il est impossible que le système cède la place sans révolution, il n’est pas réformable.. Ni réformable, ni démocratique, ni rien du tout…
Il faut qu’il y ait un renversement global de tout. Après, quel chemin prendra la révolution, je l’ignore complètement! Regarde, par exemple, ce qui s’est passé depuis deux ans avec le Hirak. Ils ne sont pas réformables, il faut les faire sauter.
De Marseille, de l’Europe, ou même de n’importe ou de l’extérieur du pays, il faut réagir,
soit par l’analyse soit par le culturel, un travail politique si on veut que ça change, mais il ne faut pas être qu’une caisse de résonance de ce qui passe en Algérie; il faut se positionner en tant qu’acteur des changements, et pas comme relais du changement.
“L’étoile nord-africaine », le mouvement national d’Algérie, est né à Nanterre, et c’est eux qui ont parlé de libération de l’Algérie, alors qu’en Algérie personne n’en parlait.
Les gens ici et maintenant se présentent comme des caisses de résonance de là-bas, plutôt que de profiter des moyens qu’ils ont ici, de la liberté de s’exprimer et d’aider..