Récit de Hassan

Je m’appelle Hassan, j’ai trente ans, je suis tunisien. La première fois que je suis venu en France, c’était en 2024, pour trois mois. Je suis artiste et je suis venu pour une résidence artistique. En 2024, j’étais logé à Paris et, après la fin de mon visa « Talent » au bout de trois mois, je suis rentré en Tunisie.
Maintenant, c’est la deuxième fois que je suis en France : je suis revenu cet été, cette fois à Marseille, encore avec un visa Talent.

Le visa "Talent" : une opportunité de séjour artistique proposée par l'Institut Français

C’était un appel à candidatures sur projet, et dans mon cas, c’était en collaboration avec l’Institut français de Tunisie. Donc c’est cette institution qui a soutenu ma demande de visa. C’est ce qui m’a facilité l’obtention du visa « Talent » pour venir en France.
Mon rapport avec La Friche de la Belle de Mai n’était pas administratif : c’était uniquement au niveau de la production artistique. Et il faut dire aussi que mon projet était financé par Campus France, j’ai reçu une bourse de Campus France, donc j’avais la même bourse qu’un étudiant en France, sauf que c’était seulement pour trois mois.

Le Visa « Talent » est un titre de séjour de trois mois : pour l’obtenir, la personne doit être prise en charge par une structure française pendant la durée du séjour, et avoir une rémunération qui dépasse 20 % du SMIC en France.

En Tunisie, jusqu’à 2010-2011, obtenir le visa « Talent » était assez facile. Il suffisait de prouver que tu étais artiste, et si tu avais au moins cinq ans d’expérience dans une pratique artistique, tu pouvais demander un visa et venir en France pour chercher du travail.
Mais après la révolution tunisienne, surtout à partir de 2014-2015, obtenir un visa « Talent » est devenu beaucoup plus compliqué. Aujourd’hui, pour avoir un visa « Talent », il faut un contrat rémunéré au moins 20 % au-dessus du SMIC français.
Le visa « Talent » est valable pour la durée de ton contrat : si tu as un contrat de deux mois, tu auras un visa de deux mois ; si tu as un contrat d’un an, tu auras un visa « Talent » d’un an, etc. Donc, obtenir ce visa est possible seulement dans le cadre d’une résidence financée ou d’un contrat de travail avec une structure précise.

Le fait d’avoir un visa « Talent » m’a beaucoup facilité les démarches administratives : le statut d’artiste est géré par l’administration française et par le ministère de la Culture, et tout est organisé par la structure artistique qui t’accueille. Les difficultés ne concernent pas le séjour en France, mais plutôt la demande de visa en Tunisie. Pour le visa artistique, c’est là que c’est compliqué, pas du côté de l’administration française.

Le renouvellement du titre séjour "Conjoint" : des retards et des ruptures des droits

Dans mon cas, je suis venu à Marseille avec un visa « Talent » pour La Friche de la Belle de Mai, mais ce visa est déjà arrivé à son terme. Maintenant, je suis marié avec une Française et j’ai fait une demande de visa “Conjoint”. J’ai obtenu un titre de séjour d’un an, puis je devrai demander un renouvellement, et ensuite je pourrai peut-être obtenir une carte de séjour. Pour l’instant, j’ai seulement un titre de séjour “Conjoint” valable pendant un an.
Il est possible de demander une carte de séjour valable dix ans, mais vu la situation administrative et la situation des migrants à Marseille, il se peut qu’on me renouvelle seulement le titre d’un an, ou même qu’on me fasse plusieurs prolongations. J’ai des amis à qui on a prolongé le titre trois fois, pour trois mois à chaque fois, et ils n’ont toujours pas obtenu leur carte de séjour.

Leurs dossiers ne sont pas traités dans les délais et ils attendent une réponse beaucoup plus longtemps que prévu. Normalement, la réponse ne devrait pas prendre plus de trois mois. Mais parfois, ça dépasse sept ou huit mois, voire un an.
Pendant ce temps-là, les gens se retrouvent sans papiers, c’est-à-dire leur titre de séjour expire, et ils se retrouvent sans travail, sans droits, et sans possibilité de gérer leurs démarches administratives.

On te donne seulement un document qui, je pense, s’appelle un “laissez-passer”, valable trois mois, le temps que ton dossier soit traité. Mais il arrive que ce document, qui prouve que tu es en attente de la réponse, arrive lui aussi à sa date d’expiration. Donc ton titre de séjour est expiré, et le document provisoire aussi. Dans ce cas-là, tu te retrouves sans issue : il n’y a aucune possibilité de contacter l’administration ou de faire pression pour accélérer le processus. Tu n’as qu’à attendre.

 

 

Les avocats, seule ressource pour obtenir ses droits

Face à ces situations, même les associations solidaires n’ont pas de moyens pour faire pression sur l’administration française. Le seul acteur qui peut vraiment faire pression, ce sont les avocats. Certains avocats contactent la préfecture pour rappeler que cette situation est illégale et pour faire pression sur l’administration. Je connais même quelqu’un à qui le titre avait été accordé, mais comme la réponse est arrivée après l’expiration de son ancien titre, administrativement il ne pouvait rien faire et ne pouvait pas réagir face à l’administration.

Au fond, je pense qu’aujourd’hui, la question administrative en France est une question politique.
Par exemple, dans certaines régions du nord où il y a besoin de main-d’œuvre immigrée, les démarches sont beaucoup plus rapides. En revanche, dans de grandes villes comme Marseille, où il n’y a pas ce besoin, ils laissent traîner les dossiers parce qu’il y a une volonté politique de limiter l’immigration.

Moi, personnellement, je n’ai jamais contacté d’avocats jusqu’à maintenant, parce que je ne suis pas encore dans une situation où j’en ai besoin. Ma démarche est encore « normale ».
Mais il existe des organismes comme La Cimade, qui proposent leurs services aux personnes qui ont besoin d’aide.
À côté de ça, il y a aussi des avocats payants, mais certains se font rémunérer à partir des amendes payées par les préfectures lorsqu’elles ne respectent pas la loi. C’est-à-dire que si l’avocat défend une personne en situation précaire (immigrés ou autres) et qu’il gagne le procès contre la préfecture (ce qui est assez probable), la préfecture doit verser une indemnisation pour le préjudice psychologique ou matériel subi. Et les avocats se rémunèrent grâce à ces indemnisations attribuées aux personnes migrantes.

Un autre problème, c’est que Marseille est une ville saturée. Même s’il y a vingt ou trente avocats spécialisés, ce n’est pas facile d’avoir un rendez-vous, parce qu’ils sont trop sollicités. Ce sont des avocats engagés sur la question de l’immigration, mais à Marseille, il y a peut-être ( je ne sais pas exactement ) cinq mille migrants qui ont besoin d’aide, pour seulement une vingtaine d’avocats disponibles. Donc, le nombre d’avocats et d’associations n’est pas à la hauteur du nombre de personnes qui ont besoin de soutien.

Encore une fois, pour l’instant je n’ai pas eu besoin de prendre un avocat, parce que j’ai un titre de séjour d’un an qui est toujours valable.

Le visa "Conjoint" depuis l'étranger ou depuis la France

Pour solliciter le visa « Conjoint », il y a deux possibilités :

  • La première, c’est quand tu te maries à l’étranger, dans ton pays d’origine, avec une personne française. Dans ce cas, tu passes par l’ambassade de France dans ton pays.
    Tu dois prouver que ta relation est une relation réelle et que le mariage est un « vrai » mariage, pas un mariage blanc ni un accord pour obtenir des papiers.
    Tu prépares un dossier que tu déposes à l’ambassade, puis tu attends trois ou quatre mois pour que le dossier soit traité et validé.
    Parfois, ils demandent un entretien avec les deux personnes, et ils posent des questions très personnelles pour vérifier qu’il s’agit d’une vraie relation. Ils se donnent l’autorisation au l’accès à l’intime de ces personnes pour vérifier si c’est une vraie relation et pas que pour avoir le papier français etc.
  • La deuxième situation, c’est lorsque tu te maries en France, ce qui est plus simple. En tout cas, pour moi, c’était le cas. Par exemple, si tu te maries en Tunisie, tu dois passer par un notaire ou une structure tunisienne, puis faire traduire tous tes documents, les transformer en documents internationaux, et finalement demander le visa. Alors qu’en France, tu prends ton acte de mariage, tu montres les preuves que tu étais en France de manière régulière, et ensuite tu peux obtenir un visa conjoint assez automatiquement. C’est mon cas, je me suis marié en France pendant que mon visa « Talent » était encore valide, et c’est comme ça que j’ai obtenu mon visa conjoint.

Le milieu artistique marseillais

Quand je suis arrivé à Marseille, j’étais en résidence à la Friche Belle de Mai. C’est une structure artistique importante à Marseille. Donc j’étais déjà en contact avec eux, et mon arrivée en France était liée à mon projet artistique. À ce moment-là, je n’avais pas encore de démarches administratives compliquées à gérer.

Il existe aussi d’autres structures, par exemple Les artistes en exil. C’est une structure publique qui a une antenne à Paris et qui en avait une à Marseille. Elle soutenait les artistes exilés en France sur les plans technique, administratif, logistique et artistique. À Marseille, près de 80 artistes étaient accompagnés administrativement et artistiquement par cette structure. Mais en août 2025, elle a fermé faute de financements publics. Depuis, les artistes immigrés à Marseille se retrouvent sans organisme pour les soutenir dans leur intégration sociale et professionnelle, ni dans la logistique, ni dans la production artistique.

Ces artistes venaient d’Asie, d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient. Certains étaient même en situation irrégulière. Cette structure leur apportait un soutien essentiel : recherche d’expositions, aide pour les dossiers, accompagnement artistique, etc.

Une collaboration avec une CADA marseillais

À côté de ça, j’ai aussi travaillé avec le CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile), au Vieux-Port, près du palais de justice. C’est une structure publique, qui travaille avec des personnes immigrées en situation très précaire, qui attendent une réponse à leur demande d’asile. Ils s’occupent du logement, proposent des cours de langue, facilitent l’intégration sociale, des activités sportives, et ils accompagnent aussi les démarches de régularisation. Mais cette structure a, elle aussi, des difficultés financières.

Il faut dire que Marseille est un cas particulier. Beaucoup d’immigrés installés à Paris ont été envoyés ici à cause d’une politique d’État, notamment avant les Jeux olympiques, pour l’image de la capitale. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de structures à Marseille pour accueillir ces personnes, et celles qui existent sont sous-financées, donc elles ne peuvent pas accompagner tout le monde.

Avec le CADA, j’ai animé des ateliers de photographie pour les immigrés et également donné des cours de langue. Par contre, les budgets du CADA étant trop ajustés, c’est moi qui payais les dépenses pour les ateliers. J’achetais la pellicule de photo, je payais le développement… tout sortait de ma poche! J’avais même proposé de faire une exposition dans leurs locaux pour montrer les travaux des jeunes, qui participaient à l’atelier de photographie, mais, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas financer ça.

Les difficuiltés pour un artiste en éxil à Marseille

Le problème, à Marseille, en tout cas pour quelqu’un qui vient de Tunisie ou d’un pays du Maghreb, ce n’est pas vraiment l’intégration sociale. Le vrai problème, c’est l’intégration professionnelle. À Marseille, il n’y a pas beaucoup de structures capables de prendre en charge l’intégration professionnelle des artistes ou d’autres publics. On a vraiment l’impression que la ville est saturée.

Pour les artistes, et surtout pour les artistes en exil, ce n’est pas facile de trouver un projet artistique rémunéré. Quand tu es artiste en exil, même si tu as beaucoup d’expérience dans ton pays ou à l’étranger, le fait de ne pas avoir d’expérience professionnelle en France devient un obstacle majeur. Quand tu postules pour un poste dans le secteur culturel ou social, la première chose qui joue contre toi — en plus du fait d’être immigré, et de la question de la confiance que les structures accordent ou non aux personnes immigrées — c’est l’absence d’expérience reconnue en France.

Ce n’est donc pas un problème de compétence, mais un problème de statut : ton statut d’immigré, ajouté au fait que ton expérience n’est pas française, t’empêche de trouver un emploi dans ton domaine. C’est d’ailleurs pour cela que la plupart des artistes — et pas seulement les artistes exilés — finissent par travailler dans la restauration, sur les chantiers, etc. Ils se retrouvent dans une situation précaire, bloqués dans des emplois qui n’ont rien à voir avec leurs pratiques artistiques.

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