Récit de Mounir

Décider de partir…

Je suis arrivé à Marseille le 10 octobre 2001. Ca a été le voyage “cliché” par bateau. Je suis arrivé avec un visa touristique.
L’envie de partir était là depuis longtemps. Mais la décision je l’ai prise suite à des événements qui m’ont brusqué et fait passer à l’action.

J’aurais pu partir avant, mais je n’avais pas fait l’armée et donc je n’avais pas le droit de sortir du pays à cause de la carte militaire. Déjà en 1996, je m’étais inscrit à l’Université, à Paris, mais je n’avais pas obtenu le visa à cause de cette carte.
Ne pas avoir fait l’armée en Algérie, c’est comme être sans papiers dans son pays : tu ne peux rien faire. C’était la période du terrorisme et les militaires étaient envoyés “nettoyer” la campagne des “barbus”. J’ai perdu des amis comme ça…
En 2001 j’ai été dispensé du service militaire et là j’ai pu enfin décider librement.

J’avais aussi fait les démarches pour la green card pour les USA. Je l’ai eu quand j’étais déjà en France ! Du coup, la langue, le devoir tout recommencer, le travail, la guerre en Irak et le racisme montant aux USA, ont fait que j’ai choisi de rester ici.

Un des événements qui m’ont fait décider à partir a été un accident à la cheville, suivi par l’absurdité de la bureaucratie hospitalière algérienne et les mauvais soins qu’on m’a affligé. Accessoirement, je m’étais séparé de mon ex, ce qui aide aussi à prendre ce genre de décision.

Arriver à Marseille comme étudiant

J’étais diplômé en architecture et j’avais déjà commencé à travailler en Algérie, mais le contexte ne me correspondait pas.
Alors, j’ai cherché des formations en France qui auraient pu me correspondre, une était à Nancy et l’autre à Marseille. J’ai choisi Marseille.

Je suis venu en France d’abord avec un visa de touriste pour régler l’inscription à l’université, compléter mon dossier de demande de visa au consulat, ouvrir un compte en banque… après, j’ai pu avoir mon visa et une carte de séjour étudiant d’un an, à renouveler chaque année.

C’est les titres de séjour provisoires qui compliquent tout : l’accès au logement (impossibilité de monter un dossier), au travail (avec le statut étudiant on peut travailler que 3 mois/an)…

Et ça n’a pas toujours été simple avec les papiers !
Par exemple, pour monter mon dossier de visa étudiant je devais avoir un compte en France, mais pour les banques françaises je devais y être résident : le serpent qui se mord la coeue.
J’ai essayé des dizaines de banques qui ont refusé jusqu’à en trouver une qui accepte (c’est l’employé qui a su m’écouter). Si je m’étais arrêté aux premiers refus, je n’aurais pas réussi.

Les dangers du changement de statut

Entre temps, j’ai commencé à travailler, même si j’avais un statut d’étudiant.
Ca m’a aidé sur plusieurs front le fait de travailler !

En 2006, j’ai demandé un changement de statut pour pouvoir travailler en règle : s’il était refusé, je devais retourner en Algérie. J’ai fait mon dossier le 20 février et mon contrat d’embauche démarrait le 6 mars. Comme je n’avais pas de réponse, je me suis déplacé à plusieurs reprises : mon dossier était bon, mais à la Préfecture, je suis tombé sur une personne qui ne voulait pas traiter mon dossier, me créant des obstacles arbitraires. Elle a caché mon dossier, a tenu des propos racistes… Elle m’a dit que ce n’était pas possible qu’il n’y ait pas de Français pour ce poste de chargé d’affaires, que j’avais obtenu. Il faut savoir que pour pouvoir embaucher un étranger, il faut que l’annonce reste 90 jours sur le site de l’ANPE et il ne doit pas y avoir de français intéressés.
Finalement, j’ai présenté un deuxième et même dossier à une autre personne, au même guichet. Celle-ci m’a dit que mon dossier était ok et a bien vu que la première personne, connue dans le service pour son comportement, avait caché mon premier dossier. Avoir osé “court-circuité” le système m’a permis de faire valoir mes droits.
Quand ma soeur a fait la même démarche, 4 ans plus tard, j’ai pu lui dire de faire attention à cette personne et de l’éviter pour lors du dépôt de son dossier.

Avec le changement de statut, le renouvellement de mon titre de séjour (toujours d’un an) s’est fait plus facilement. Mais pour ces démarches, je devais toujours prendre jusqu’à 3 jours de congé. A chaque fois, j’avais un récépissé, voir deux et le titre n’était pas délivré avant 6 mois.
Les retards des réponses de la Préfecture m’ont causé plusieurs problèmes, notamment avec mon employeur, qui ne voulait pas de situations irrégulières.

Le savoir et la débrouille

Ce qui m’a vraiment aidé, à différence d’autres, ça a été de parler français et de bien savoir s’exprimer. Et de ne pas être trop “typé” maghrébin : je pouvais passer par un d’ici.
Et puis la débrouille : par exemple, pour trouver le nom d’une personne chargée d’un service à la Préfecture, j’ai changé plusieurs fois les derniers chiffres du numéro de téléphone du standard, jusqu’à obtenir son contact direct. Le fait de m’être adressé directement à la personne chargée du dossier a tout changé.
Enfin, il faut connaître la loi et ses droits, savoir se renseigner.
Par exemple, avec Sarkozy il y a en le “contrat d’accueil et d’intégration”. Je l’ai signé au moment du changement de statut. J’ai accompli tout ce qu’on me demandait (test de langue, journée d’intégration…) et à un moment de difficultés à la Préfecture je l’a fait valoir et on m’a littéralement ouvert la porte à “l’arrière” (un parcours privilégié).

Je suis enfin devenu français

Après 3 renouvellements, il est possible de demander une carte de séjour de 10 ans. C’est ce que j’ai fait en 2009, mais ça m’a été refusé.
J’ai obtenu plus facilement la naturalisation française que j’ai demandé au même moment. J’ai eu une réponse positive en 2013. C’est sûrement grâce à mon bon salaire, les impôts importantes que j’ai à payer et le fait d’être devenu propriétaire de mon logement.

Pour la Sécu ça a été plus simple. Du moment que je travaillais, j’ai tout de suite eu le régime générale, grâce au manque de communication entre la Préfecture, la Sécu et les Impôts. Normalement, j’avais un statut d’étudiant mais ce manque de communication entre services permet des “vides”administratifs dans lesquels les migrants peuvent trouver des solutions “hors la lois” mais pas illégales.

Quand je suis arrivé, je n’ai pas trouvé des sources d’informations claires, qui me disaient ce qu’il faut faire.
J’ai du chercher. J’ai beaucoup cherché sur internet, sur des forums, aussi des forums d’algériens… mais pas les sites institutionnels.
Je me débrouille bien en recherches, mais on trouve facilement les forums en tapant “carte de séjour”, “nationalité”…
J’ai évité la communauté algérienne : ce n’est pas avantageux, ça ne te permet pas de t’ouvrir à la vie sociale, autant rester dans ton pays. Ce n’était pas mon but. En même temps, j’ai eu des bons conseils par des amis algériens qui étaient déjà passés par mon parcours, comme par exemple sur le travail en intérim, par un collègue qui était à Paris et qui y était passé 5 ans auparavant.

J’ai aussi contacté la CIMADE, pour être conforté dans une démarche avec la Préfecture. Ils m’avaient rassuré dans mon bon droit et dit de les contacter si ma démarche n’avançait pas. Je n’en ai plus eu besoin.

Le plus important c’est connaître ses droits ici.
Et ne pas se donner des limites par rapport aux expériences des autres. Chacun peut faire son expérience et trouver des nouvelles solutions. Ne pas s’arrêter au premier “ce n’est pas possible”, il faut s’ouvrir des opportunités.

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