Récit de Massa

Je suis née en France de parents syriens. J’y ai vécu 12 ans environ puis mes parents sont repartis en Syrie. En France, mon père était commerçant. Il a déplacé son commerce en Syrie. Ma famille est partie afin de continuer à respecter les traditions syriennes et surtout islamiques, car en France ma mère a beaucoup souffert de racisme religieux à cause de son voile. Elle a été arrêtée plusieurs fois dans les magasins, soupçonnée de vol, dans une discrimination évidente et une restriction à sa liberté religieuse, en particulier pendant les années 90. A cause de ce harcèlement continu, la famille a préféré repartir en Syrie afin que nous puissions poursuivre nos études là-bas. J’ai affronté beaucoup de difficultés en rentrant chez nous, en particulier avec l’arabe classique que je ne maîtrisais pas bien. Malgré tout, j’ai réussi mon Bac, section lettres, avec une moyenne générale qui me permettait d’intégrer la faculté et la discipline de mon choix.

On m’a conseillé d’étudier la littérature anglaise, car c’est une langue mondiale qui permet d’accéder au monde du travail. Je l’ai fait, j’ai passé une licence et un Master de traduction anglais-arabe. En 2013, les événements se sont déclenchés en Syrie. La famille a décidé de se déplacer en Egypte car mes frères cadets n’ont pas appris le français. Je me suis inscrite en doctorat. Au début, tout se passait bien puis nous avons eu plusieurs problèmes car l’Egypte est un pays dont la densité, la pauvreté et le coût de la vie sont très élevés. Ma famille a dû dépenser toute ses économies sans avoir d’autres ressources ou opportunités de travail. Ma famille a décidé de partir en Turquie. A cette époque là, j’étais à la Fac, j’avais rencontré mon mari qui avait immigré aussi en Egypte. On s’est mariés, je suis tombée enceinte et comme j’ai la nationalité française, j’ai décidé de venir en France, mon deuxième pays. Notre mariage n’étant pas reconnu en France, je suis venue seule et j’ai fait une demande pour faire venir mon mari ; il m’a rejoint plus tard.

Le racisme sur le travail et le voile qui empêche de travailler

Quand je suis arrivée seule, j’ai été accueillie chez un ami. J’étais enceinte de six mois et j’ai commencé à faire les démarches pour enregistrer la grossesse et la demande d’allocations familiales auprès de la CAF, ainsi que l’activation d’une couverture maladie à la CPAM.

Mon mari a obtenu son visa un mois avant la date de mon accouchement. A son arrivée, il a affronté beaucoup de difficultés dans les activités courantes, comme aller à la pharmacie, en raison du manque de maîtrise du français et des difficultés d’adaptation. Il n’est pas venu en France comme réfugié mais dans le cadre du regroupement familial.
Son anglais ne l’a pas beaucoup aidé vu que l’anglais est peu parlé en France. Il a rencontré beaucoup d’obstacles malgré sa licence en Dialogue entre les civilisations. Il a commencé à apprendre le français mais naturellement, ça lui a pris du temps. Il a essayé de trouver un emploi de professeur car c’était son métier en Syrie mais il n’a pas trouvé de poste, donc il faisait la plonge deux heures par jour pour vingt euros seulement. Il avait des problèmes au travail. Ses employeurs l’obligeaient à porter des légumes, or il avait des problèmes de dos. Il a trouvé un nouvel emploi dans un autre supermarché où il était ridiculisé à cause de son accent et de son français. Le racisme subi lui a causé des problèmes psychologiques graves ; il a commencé à consulter un psychiatre qui lui a conseillé de quitter son emploi immédiatement. Il a tenté de faire un Master pour travailler comme professeur en France ; ce qu’il souhaitait depuis le début.

Pour moi, le fait que je porte le voile a réduit les possibilités de travailler, pourtant je maitrise le français. J’ai commencé à travailler à la maison, sur Internet, et à réfléchir à mon propre projet. J’ai cherché du travail dans les écoles islamiques mais ils préfèrent les personnes diplômées, j’ai donc passé le C1.

Malgré mes responsabilités familiales envers mes enfants et mon mari, j’ai pu refaire mon Master avec une possibilité de faire le doctorat plus tard. Je travaille actuellement en traduction. Le travail est à temps partiel, cela diminue les revenus. Mais travailler en ligne permet d’éviter le harcèlement raciste. Mon mari essaye d’obtenir des indemnités de chômage.

Ce qui me gêne, c’est l’incapacité de mes enfants à comprendre leur identité. Ils se sentent toujours étrangers et connaissent peu de choses de la Syrie et de notre vie là-bas. Je pense que c’est mieux pour le moment mais ce que je souhaite le plus, c’est que le peuple français soit plus réceptif et plus tolérant envers l’Islam. Entre autres choses, la liberté de porter le voile nous permettrait de travailler sans obstacles. Moi, j’aime la France qui est mon deuxième pays et j’y ai vécu une partie de ma vie sans subir d’ harcèlements racistes.

Ma période syrienne

En Syrie, je n’avais pas de responsabilités. Ma famille était aisée et j’étais en accord avec le climat général, les idées et les traditions, malgré les différences religieuses et éthiques entre mes amies et mes collègues kurdes et chiites. J’avais aussi une amie juive et on ne sentait jamais la différence, nous cohabitions sans problème. Mais à cette époque-là, je rêvais d’être professeur à l’université et traductrice, mais je n’avais pas le temps pour une vie professionnelle vu la croissance des incidents. Je n’ai pas pu avoir un travail en Egypte et en arrivant en France, je n’ai pas pu choisir mon métier et j’ai été forcée de me tourner vers la sphère privée. Avec mon mari, nous avons pensé à monter un centre d’apprentissage du français et de l’anglais pour les réfugiés. C’est notre objectif.
Comme je suis française, je suis obligée de faire les démarches administratives pour toute la famille. J’aide des réfugiés syriens dans leurs démarches en général et en particulier pour la CAF, car je comprends bien la difficulté d’être étranger, la méconnaissance de l’administration et la barrière de la langue. Cette non-maîtrise de la langue rend leur adaptation difficile, c’est comme s’ils renaissaient et devaient réapprendre à parler.

Avant les incidents en Syrie, les syriens vivant en dehors de la Syrie étaient peu nombreux, et les meilleures conditions de vie pour un syrien se trouvaient en Syrie. La rumeur qui circule sur le fait que le syrien quitte son pays pour 350 euros est incorrecte, parce que tout citoyen syrien pouvait gagner cette somme en Syrie avant les incidents et que 150 euros suffisaient pour vivre en Syrie. Personne ne préfère quitter son pays et sa famille pour de l’argent uniquement.
Dans mon cas, j’ai affronté moins de difficultés, parce que j’ai déjà vécu en France, j’ai une condition privilégiée.

De plus, dès que je suis arrivée en France, nous avons rencontré un syrien possédant une maison. Il aidait ceux désirant se réfugier ; ils nous a accueillis, et nous a ouvert sa maison où j’ai vécu avec mes parents pendant un mois avant l’arrivée de mon mari.

 J’étais enceinte à l’époque, je suis allée directement à l’hôpital de la Conception pour le suivi de la grossesse. Le service PASS Gynécologie aide ceux qui n’ont pas de carte vitale. A cette époque-là, je n’avais pas de numéro de sécurité sociale : on m’a aidée à obtenir l’AME (Aide Médicale de l’Etat), un service médical pour un mois en attendant l’obtention de ma carte vitale. J’ai fait le suivi de ma grossesse là-bas, et j’ai pu rencontrer une assistante sociale. Je lui ai parlé de ma recherche d’un logement, elle m’a aidée dans l’obtention des adresses pour trouver un logement convenable, et dans la préparation du dossier de la CAF.

J’ai eu beaucoup de mal à trouver un logement à louer malgré les bons revenus de mon père et sa capacité à se porter garant pour moi, mais les lois ici ne le permettaient pas.

Par un complet hasard, j’ai rencontré dans une papeterie libanaise à côté de l’hôpital (je faisais des photocopies pour la CAF) des employés qui m’ont orientée vers une personne qui pouvait nous louer un logement. On y est allés – c’était à côté d’un bar-, on a pu louer un studio de 25m², avec de l’humidité et un mauvais état général, mais au moins il était habitable. Malheureusement, le logement n’était pas déclaré au début donc on n’a pas pu obtenir l’aide de la CAF.

Plus tard j’ai pu faire toutes les démarches de la CAF ; j’ai demandé le RSA. L’assistante sociale m’a aidée à contacter l’ambassade de la France en Egypte pour faire les démarches pour mon mari, à enregistrer officiellement notre mariage, et à obtenir des papiers officiels. L’assistante sociale de la Maternité m’a suivie et aidée dans les démarches liées au logement. Elle était trop gentille, j’ai déménagé dans le studio un mois avant mon accouchement et quand mon mari est venu, il m’a aidée pour le meubler. Il était trop petit, j’y suis restée deux ans, puis nous avons déménagé dans une maison plus grande de trois pièces. Mon mari apprend le français et passe d’une profession à une autre.

En plus, il y a un problème que les réfugiés syriens affrontent lors de la certification de leur permis de conduire, qui est toujours refusé et non reconnu. Il faut avoir un permis de conduire français, mais ça coûte trop cher et c’est très difficile à obtenir, à cause de la langue et du manque de compréhension des instructions de l’examinateur lors de l’épreuve de conduite.

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