Récit de Marcello

L’arrivée

J’ai quitté l’Italie pour un stage en architecture durable aux États Unis, auprès de la Fondation Paolo Soleri (architecture durable – Ville d’Arcosanti). Terminé le stage, ils auraient dû me faire un visa pour m’embaucher et ils n’ont pas voulu faire les démarches et soutenir les coûts pour ma régularisation; ils me demandaient de sortir du pays, d’aller au Mexique et de rentrer à nouveau (avec un visa touriste?).
Je n’ai pas voulu le faire, j’aurais bien aimé rester encore un peu aux USA et trouver un autre job, j’avais des amis qui acceptaient de falsifier des documents pour pouvoir signer des contrats de travail, mais je ne l’ai pas fait.
C’était en 2008, la crise commençait à frapper et j’ai décidé de rentrer en Europe.

J’étais encore en contact avec mon ancienne proprio de Paris, de l’époque de l’Erasmus, du coup j’ai choisi la capitale française comme point de chute. Et, les propositions de travail ne manquaient pas, mais la concurrence non plus.

A la fin d’un stage à l’Université, j’ai fait deux calculs et j’ai décidé de quitter Paris. J’ai souhaité chercher un endroit plus chaud, méditerranéen…
En juin 2010 j’ai passé un entretien dans un BdE marseillais, le mois suivant je m’installais ici, avec un travail dans mon domaine et un logement dans un appartement de mon employeur (il me décomptait le loyer dans ma fiche de paye).

Les conditions de mon arrivée à Marseille ont été décidément favorables : avant de débarquer, j’avais déjà un travail et un logement.
Et avec le travail, aussi l’ouverture des droits, le régime de santé… même si j’ai galéré longtemps avant d’avoir ma carte vitale. Avant de comprendre qu’il me fallait un numéro d’assisté français, j’ai perdu du temps en essayant d’utiliser ma Carte Européenne de Santé (en Italie l’équivalent de la carte vitale a été remplacé il y a plus de dix ans par ce document).

Vu son nom, je pensais qu’il fallait que je l’utilise pour activer ma couverture également en dehors de l’Italie, mais en fait j’ai compris qu’elle a seulement la fonction de remplacer les anciens certificat de voyage (E101, E111), qu’on faisait avant de partir en voyage quelque semaine en Europe.
Par contre si on s’installe dans un pays membre, il n’est pas possible de continuer à l’utiliser, elle marche juste pour le tourisme et les déplacements ponctuels.

Du coup j’ai dû faire la demande à la Sécu, en présentant mon acte de naissance, qui ne peut pas être celui qu’on donne normalement en Italie, mais une version multilingue que j’ai dû faire exprès. C’est ma famille à Rome qui l’a fait par procuration et me l’a envoyé, puisque en passant par le Consulat ça aurait pris plus de temps.

 

Plus d’emploi, plus de logement

Les problèmes sont arrivés plus tard : trois mois avant de devoir me proposer un CDI (après les reports de CDD), mon employeur a décidé de ne pas me renouveler. De plus, il m’ont payé le solde tout compte en plusieurs tranches, avec des chèques post-datés (j’ai su postérieurement qu’ils n’avaient pas le droit de le faire).

Une fois le dernier CDD terminé, j’ai aussi perdu l’appartement que l’employeur me louait ; j’étais donc dans une situation vraiment difficile où il a fallu que je cherche une location en étant chômeur.
Le problème des garants a été le gros obstacle pour pouvoir signer un bail : ma famille est en Italie, et les propriétaires français ne font pas confiance aux garants situés en dehors de l’hexagone. Je pense qu’ils se disent qu’en cas de problèmes, il serait plus difficile de récupérer l’argent qui leur est dû.
Mon ancienne propriétaire de Paris, celle avec qui j’avais toujours gardé un bon contact, était disposée à me servir de garant, mais elle ne déclarait pas assez de ressources, elle était une simple retraitée (en fait, elle louait plusieurs/ appartements à Paris, elle devait être millionnaire, mais elle ne les déclarait pas…).

Des amis français m’ont parlé d’associations qui se prêtent comme garants, mais en réalité ce qu’elles pouvaient faire c’était de me payer une partie (ou la totalité) de ma caution.
Ma sœur travaille à l’Union Européenne, à Bruxelles… elle non plus pouvait marcher comme garant, mais elle avait une collègue française qui avait gardé sa résidence en France, et qui a bien voulu donner son nom.

Je cherchais des appartements en centre ville, pour profiter des rencontres et des réseaux ; avec mon boulot, je travaillais et j’habitais à Saint Barnabé. Ça m’arrangeait, mais une fois resté sans travail ça n’avait plus de sens de rester là-bas. J’ai finalement trouvé un appartement au Panier, un petit T1 sous un toit, pas cher et central.

 

La CAF: un accès aux droits compliqué

En même temps, je me suis adressé à la CAF pour m’informer sur les aides personnalisées au logement (Apl) : après des heures de queue, je tombe sur une employée spécialement désagréable qui me dit : « Vous les Italiens, Espagnols et Portugais, vous pensez avoir les mêmes droits que les français ! », et puis : « Mais vous êtes mal barrés, à Marseille ! Avant vous, il y a beaucoup d’Algériens, Tunisiens, etc. qui ont encore plus de droits que vous ! ».

Elle faisait suivre à ce genre de réflexions la requête de mon permis de séjour, qu’elle affirmait être nécessaire pour monter mon dossier. Surpris, je lui ai demandé de me montrer une plaquette ou des textes qui justifient sa demande, mais ni elle ni ses collègues ne m’ont jamais rien donné.

J’ai pris du temps pour me renseigner avant d’aller à la Préfecture : au Consulat Italien on m’a dit que la CAF n’avait pas le droit d’exiger le permis de séjour, mais ils n’ont rien fait de plus pour moi, même pas un papier que je puisse emmener à la CAF.

C’est un ami français qui travaille dans une association pro-migrants qui m’a expliqué que, pour les européens, le permis de séjour n’est qu’une option : « Si tu veux tu le fais, si tu as tout les papiers qu’il te faut…. Mais il n’est pas obligatoire, et les services de l’État ne peuvent pas l’exiger ».
Avec ces informations, des lois et normes européennes imprimées, une lettre de l’association pro-migrants menaçant la pose d’une plainte, je suis retourné à la CAF. J’ai eu la bonne idée d’éviter la dame qui m’avait si bien reçu la première fois, et je suis tombé sur un jeune homme qui a bien voulu ouvrir mes droits, sans demander le permis de séjour.

Mais au bout de quelque mois où je perçevais mes APL, des problèmes de différentes natures se succédaient, causant l’interruption des aides. Par exemple, un beau jour un tiret disparaissait de mon prénom dans une base de donnée et je ne recevais plus les APL. J’étais obligé de retourner à la CAF et de demander la correction de mes coordonnées.

Ce genre d’inconvénients s’est arrêté quand l’association pro-migrants est intervenue, en contactant directement la CAF et en menaçant à nouveau des actions juridiques en défense de mes droits et de ceux des autres personnes qui faisaient l’objet de ce type de traitement.

 

L’emploi: équivalence des parcours de formation

Au Pôle-Emploi j’ai souvent eu des soucis par rapport à la reconnaissance des mes titres et diplômes italiens. On me disait parfois que j’aurais dû faire des examens en France pour valider mon diplôme d’architecte.
Par contre, quand je parlais directement avec les architectes, lors des entretiens d’embauche, il suffisait de dire que j’étais inscrit à l’Ordre italien et il n’y avait plus de soucis, ils ne me sortaient pas la question des équivalences.

Un conseiller du Pôle-Emploi, une fois où j’allais postuler pour un poste dans une mairie de la région, m’a dit : « Vous savez, actuellement avec le Plan Vigipirate, c’est difficile qu’une collectivité embauche un étranger ».

Le problème avec les bureaux d’étude d’architecture (mais ça ne concerne pas que les migrants, nde) c’est qu’ils ignorent le fonctionnement des dispositifs d’insertion, tels que les contrats aidés, CUI etc. Ils n’ont pas l’habitude de les utiliser, pas le personnel RH qui peut s’en occuper, et du coup j’ai eu du mal à les faire valoir pour décrocher une embauche dans mon secteur.
Dans d’autres domaines j’ai pu constater que les choses marchent différemment (par exemple dans le spectacle, dans le secteur associatif, dans l’environnement, il y a plus l’habitude de profiter de ces avantages pour les employeurs).

En général, je peux dire qu’une fois terminé mon premier emploi à Marseille, j’ai eu des difficultés pour accéder à des droits qui me correspondaient (à partir du moment où j’avais déjà travaillé en France). Des droits pour lesquels les français sont très fiers, mais aussi très jaloux, on dirait !

Dans certaines réflexions que j’ai pu entendre, on comprend que pour pas mal de personnes ces droits sont vécus comme des privilèges à défendre, d’où l’idée que si on les donne à d’autres, – notamment à des gens « différents de nous»-, on risque de les perdre. C’est du ‘racisme bon marché’, razzismo spicciolo en italien. Les droits ne se perdent pas quand on les donne aux autres.

J’ai eu souvent le sentiment qu’aux yeux des français tu es un étranger, que tu viennes de très loin ou que tu viennes de l’Europe, d’un pays d’à côté : tu n’es pas français, donc tu es un cran plus en bas que les gens d’ici.

Comme je l’ai dit, à l’arrivé tout a été simple, grâce à mon emploi et à l’appartement qui m’a été proposé.
À long terme, c’est surtout les amis français qui m’ont donné les bons tuyaux. Celui qui travaille à l’association, mais aussi ceux que j’ai connus grâce à la capoeira et au samba.
Le fait de faire une activité comme la capoeira, de partager un intérêt et des objectifs avec d’autre gens, crée immédiatement des liens forts sur lesquels j’ai pu m’appuyer. Ça n’en fait pas une « communauté », mais dans le besoin j’ai reçu de l’aide fondamentale.
De plus, ce sont de gens qui font de la musique d’un autre pays, forcément ils sont plus ouverts, plus curieux et plus habitués au voyage que la moyenne, donc plus réceptifs quand un ami qui vient d’arriver a besoin d’information ou d’un coup de main.

Quelques temps après, toujours grâce à la musique, j’ai rencontré un vieil ami italien, que j’avais connu en voyageant quand nous étions tout jeunes. Lui aussi m’a aidé et soutenu ; et c’est d’ailleurs l’un des rares cas où j’ai côtoyé des italiens.
En général, les italiens que j’ai connus ici passent trop de temps entre eux, ils se retrouvent dans leurs appartements pour se cuisiner des pâtes maison…ils reproduisent l’Italie en France ! C’est pas trop mon truc…

Un autre italien aussi et un français, connus en jouant du samba, m’ont aidé quand je suis resté sans appartement, en m’hébergeant chez eux pendant quelques temps.

Du point de vue humain, en particulier grâce à la musique, je peux dire que je n’ai vraiment pas eu de souci, au contraire.
Du côté de la bureaucratie, les choses ont été plus difficiles : en déménageant de Saint Barnabé au Panier, j’ai pu constater la différence d’attitude de gens qui travaillent dans les bureaux publics (CAF, Sécu). On dirait que ceux qui travaillent dans le deuxième arrondissement, sont choisis pour leur intolérance et leur racisme.
À Saint Barnabé on est bien reçu, les employés sont tranquilles et polis, il ne se laissent pas aller à des propos à l’arrière-goût lepéniste…

Dès que tu arrives à la Joliette, tu découvres un nouveau monde : en tout cas c’est clair, il faut pas se démoraliser aux premiers refus. Comme je l’ai appris, il suffit d’y retourner et d’essayer d’esquiver les employés les plus aigris.

 

La recherche des informations

Les sites web des institutions françaises sont trop compliqués, on a l’impression de lire des lois, il n’y a jamais un petit schéma qui te permet d’avoir l’information clé. Tu lis beaucoup et tu ne retiens presque rien.

J’ai utilisé les publications qu’on trouve sur les sites de l’UE, du genre : « Vivre en France ». Elles sont déjà mieux, mais souvent trop axées étudiant ou entreprise.

Au Panier, il y a une communauté de jeunes italiens qui augmente de mois en mois. Je pense que ça nous plaît puisque ça peut rappeler des villages tels qu’il y en a dans plusieurs régions d’Italie, dans le nord et dans le sud. Ses dimensions, ses rues, nous donnent une image plus calme et protectrice que celles de Noailles ou Belsunce, et plus vivante que celle, par exemple, des Réformés ou des autres quartiers plus bourgeois.

Mais comme je disais, j’aime pas trop m’enfermer dans la communauté italienne, et il a été important pour moi d’avoir des amis français, qui peuvent bien t’expliquer les fonctionnements de la bureaucratie d’ici.

Si on est un travailleur européen qui veut s’installer dans un autre pays membre, on a du mal à trouver les informations clés :
– pour travailler vous aurez besoin de ça et ça
– avant de travailler vous aurez droit à ça et ça
– les droits X et Y vous les aurez seulement une fois que vous aurez travaillé pendant N mois

En manque de ces informations, nous nous faisons des idées trompées par exemple sur le fonctionnement de Schengen, ou dans mon cas sur la couverture de santé. J’ai l’impression que les européens n’ont pas en tête que quand on change de pays on a tous les droits seulement une fois qu’on a travaillé dans ce pays.

L’UE a mis beaucoup l’accent sur la mobilité des étudiants (ERASMUS), mais pas sur celle des travailleurs (p.e. le projet LEONARDO) ; l’échange professionnel devrait représenter une richesse pour les pays d’accueil.

Le site de l’UE devrait être beaucoup plus utilisé par les citoyens, pour accéder aux infos. On connaîtrait mieux aussi les bonnes choses que l’UE fait, comme les projets LIFE, LIFE Plus, qui ne sont pas assez publicisés.

Si je devais donner des conseils à quelqu’un qui arrive aujourd’hui, ou simplement qui pense venir en France…ce serait sûrement: “ Changez de pays, et même de continent !”. Sérieux !
Par exemple, si vous parlez portugais (moi j’y pense) allez en Angola, il y a plein de pays plus dynamique. S’il faut galérer et se sentir dépaysé -et ici on l’est- mieux vaut le faire dans un endroit avec plus de possibilités.

Et sinon, ici en France, ne vous obstinez pas à chercher un emploi dans votre branche. Il vaut mieux prendre ce qui arrive, bosser quelque mois, pendant lesquels on se construit un réseau et on apprend bien la langue.
Plus tard, on pourra profiter des ces acquis, notamment les CV qui voyagent mieux de mains en mains que par internet.

Avec la bureaucratie : ne pas se démoraliser lors des mauvaises rencontres aux guichets publics. Se renseigner et retourner aux mêmes bureaux, en changeant de conseiller.