Récit de Majen

Je suis né en 1992. Je viens du Yémen, un pays ou pas un village et peut être même pas une famille ne compte pas d’émigrés dans ses rangs. Le Yémen est lui même un pays d’émigration intérieure. Je n’ai jamais songé à l’émigration comme relevant d’un désir subjectif et intérieur, et pas non plus à une émigration sans retour. Mais quand je suis entré au  lycée et qu’il m’a fallu  penser à l’avenir, j’ai commencé à me poser des questions sur, notamment,  la mauvaise qualité de l’éducation. Il valait mieux avoir la possibilité d’étudier à l’étranger, puis de revenir travailler au Yémen. À l’âge de quinze ans, je suis donc entré au lycée, et quand j’ai réussi, j’ai commencé à chercher une bourse pour étudier. Marseille n’était pas un objectif particulier ,ni même la France. Au départ, mon idée était plus tôt d’aller en Allemagne, au Canada, en Hollande ou dans le reste des pays où je pourrais faire des études supérieures en langue anglaise que je connaissais.

J’ai commencé à chercher une bourse dans plusieurs d’endroits, et ce n’était pas facile. Mais au final, j’ai trouvé une annonce pour une bourse proposée par la société française Total au yémen. La concurrence était forte. Au début, ils sélectionnent 50 étudiants, puis ils leur font passer des tests en mathématiques, en physique et en chimie. Pour pouvoir concourir, il faut avoir obtenu le baccalauréat avec des notes très élevées, supérieur à quatre-vingt-dix pour cent. Après les tests on passe des entretiens personnels avec le directeur de l’entreprise, et avant d’être enfin admis, les trente candidats retenus passent alors par un semestre de formation intensive en langue française. C’était en 2012. Ensuite est venue l’admission à l’Université.

Une bourse d'étude pour la France

J’ai été admis dans trois villes, Marseille, Toulouse et Grenoble. Et je suis venu à Marseille  fin 2012  en novembre. J’ai choisi Marseille non par envie précisément, mais parce que c’est la première université qui m’a répondu  et j’avais besoin d’une telle réponse pour pouvoir terminer les démarches de visa et le dossier pour le consulat .

Après une formation intensive qui a duré six mois au Yémen, j’ai donc obtenu la bourse, qui porte sur trois ans, et est renouvelable pour deux années supplémentaires en cas de poursuite d’un master.
Je suis venu à l’Université de Saint-Jérôme pour y commencer mes études en génie électrique et automatique.

L’objectif de la bourse de l’entreprise est d’amener chaque année vingt étudiants yéménites, dix en licence et dix en master, l’idée originale étant de former des  cadres yéménites susceptibles de poursuivre la production et de se voir confier les missions remplies par l’entreprise..
Mon objectif à mon tour, était de passer la licence pour faire ensuite un Master. Puis, une fois diplômé, de rentrer au Yémen pour travailler..

La guerre a éclaté au Yémen en 2015, alors que j’entamais ma première année de master.
Dès le début de la guerre, en Mars, TOTAL a quitté le Yémen mais ils ont continué à payer mon salaire jusqu’au mois de Mai. Mais ensuite ils ont arrêté les versements
Je me suis souvenu de ce que le poète arabe avait dit à l’époque:

مشيناها خطى كُتبت علينا  *  ومن كتبت عليه خطا مشاها

ومن كانت منيته بأرض قوم  *  فليس يموت في أرض سواها

(Nous avons franchi des étapes qui avaient été écrites pour nous *** quiconque y a des pas, y était inscrite
Et quiconque destiné à vivre dans le pays d’un peuple *** alors il ne mourra pas dans un autre pays que celui-ci).

Il y a des choix que j’ai faits moi même mais d’autres se sont imposés à moi, par exemple, c’est la ville de Marseille qui m’a choisi, et ça ne dépendait  pas tellement de moi.

 

Suppression de bourse et perte du droit de rester en France

En 2016, du fait de la suppression de la bourse, de la guerre au Yémen et de l’interruption de toute communication avec la famille, je suis passé par une phase de dépression, dans laquelle j’étais coupé du monde et de tout. J’ai commencé à fumer et à vivre une expérience amère d’isolement… Puis… j’ai perdu le droit de rester en France parce que je ne suis pas allé renouveler les papiers et ne suis pas allé chercher non plus mon admission à l’université après avoir omis d’aller passer les examens.

Je suis donc resté sans papiers pendant environ un an, et je me demandais : «Combien de temps cela va-t-il durer? Je suis progressivement sorti de la déprime, et j’ai commencé à chercher une solution au problème des papiers. En fait, les possibilités étaient variées entre avoir un travail, ou être étudiant…. ou être un réfugié. Comme je suis yéménite, venant d’un pays en guerre, j’ai demandé l’asile. En hiver 2017 j’ai posé mon dossier, et la décision n’a tardée qu’un mois pour arriver.

J’ai commencé à travailler à cette époque, après une période de convalescence  d’un an ou un an et demi, et j’ai progressivement commencé à prendre goût à la vie .

Le départ et ce qu'on emporte avec soi

Vous souvenez vous du Majen lors de son arrivée en France?  Et qu’aviez-vous ramené avec vous  du Yémen ?

Oui, il y avait des choses matérielles et des choses morales. Parmi les choses matérielles il y avait les restes de gâteaux que ma mère fait, et une boîte de fromage yéménite de mon pays, et des bonbons, et ce qui est risible ici, c’est que j’avais également dans mon sac une boîte de thon que ma mère avait mise, comme si j’emportais  un sac pour aller en prison et non en France.
Ce qui est étrange, c’est que j’ai reçu trois cadeaux  identiques de différentes personnes, trois tapis de prière, un de ma mère, un de mon cousin et un d’une amie au Yémen.

Le jour de mon départ pour la France je ne suis pas parvenu à dormir. J’étais en retard puisqu’on était en novembre, presque deux mois après la rentrée scolaire, à cause des troubles de la période de transition après la révolution. Je suis donc venu aussi chargé de la révolution et de ses sentiments, de ses espoirs, de son  énergie et de ses multiples sujets de préoccupations.

Nous avons été reçus par des employés du CROUS (le Centre régional des œuvres universitaires)  en coordination avec des représentants de la société Total au Yémen. Ils sont venus nous chercher à l’aéroport.
Un autre ami et moi, à l’aéroport, nous  avons été soumis à une fouille complète de toutes nos affaires . Il a fallu tout ouvrir !  Le premier problème que j’ai rencontré sur le sol français était  que je ne suis pas parvenu à refaire mes bagages aussi bien que ma mère avait réussi à le faire. J’ai eu le sentiment de devoir me débarrasser de choses que je ne parvenais pas à faire rentrer à nouveau dans mes valises.

 

Les problèmes de transport et la découverte du train

Le trajet passait de Sanaa à Dubaï, puis de Dubaï à Paris où on m’a remis un billet de train pour Marseille.
Nous sommes arrivés le vendredi matin à Roissy  et ils m’ont dit que je devais arriver à Marseille avant midi, le train partait à sept heures du matin. Je n’avais pas dormi depuis deux  jours.

C’était la première fois que je  voyais un train de ma vie. Je pensais que c’était comme à l’aéroport, d’autant plus que le billet avait le numéro de voiture et  le numéro de siège. J’ai donc commencé à courir partout pour trouver l’endroit où je pourrais  me débarrasser du poids et de la responsabilité de mes bagages. J’ai trouvé un local  avec écrit « bagages » dessus, ce que j’ai supposé être l’endroit où l’ont remettait ses bagages, comme dans l’avion. Mais la vérité est que c’était une « consigne » l’endroit où ils gardaient les bagages pendant quelques heures ! Je ne le savais pas et j’ai donc fait la queue et quand mon tour est arrivé, j’ai demandé à la préposée ce  que je devais payer. Je lui ai donné les 12 euros qu’elle me réclamait mais j’ai été surpris qu’elle ne me demande pas la destination de mes bagages, ni mon passeport ou mon billet ! Je lui ai demandé : ces bagages vont bien aller à Marseille ? Alors j’ai pensé qu’elle n’avait pas compris ma question à cause des limites de mon français  et je lui ai redit en Anglais. 

J’ai vu alors  des expressions de peur sur son visage, peut-être deux sortes de peurs, peur de moi et peur pour moi.  La peur de moi parce qu’elle se demandait peut-être  ce que je transportais dans ce sac et la peur… pour moi parce qu’elle se disait, « Ce pauvre garçon est perdu et il va égarer  son bagage ».

Elle m’a alors expliqué que je devais garder le sac avec moi dans le train! J’étais complètement  perdu à cause de la lourdeur du déplacement, de la fatigue et de l’inaccoutumance à un endroit de la taille de la Gare de Lyon! Mais j’ai eu la chance de tomber sur un policier français (n.d.a, Une personne en uniforme) qui était très gentil. Il m’a donné une impression opposée à celle que j’avais de la police chez moi au Yémen:  il m’a escorté jusqu’au train en m’aidant à porter mon bagage, il m’a conduit jusqu’à ma place et m’a montré où je devais laisser mon bagage et puis il m’a laissé…

Après les difficultés que j’avais rencontrées pour rejoindre la France, des heures de voyage à l’intérieur du Yémen, un avion du Yémen à Dubaï, un autre de Dubaï à Paris, les difficultés à l’aéroport de Paris puis à la Gare de Lyon  je suis enfin arrivé à Marseille , épuisé et perdu, et ne connaissant absolument rien à la ville.   Je suis arrivé à la gare Saint Charles. J’avais l’adresse où je devais aller. Je ne connaissais absolument rien de l’endroit où je me trouvais. Je suis sorti de la gare. J’ai  cherché un taxi et j’ai chargé mes affaires dans sa voiture, puis je me suis assis à côté du chauffeur en attendant que je me repose un peu pendant le trajet… Mais lui, il a lu l’adresse et il a vu que je voulais aller au Crous St Charles alors que nous étions… gare Saint Charles!

j’ai eu l’impression qu’il était énervé pour une raison que je n’ai compris que plus tard. Il avait longtemps patienté dans la file des taxis et la course que je lui demandais -de la gare au CROUS- ne durait pas plus d’une minute.
Je n’avais presque pas dormi depuis deux jours, ce qui me faisait somnoler sans parvenir à faire la différence entre la réalité et mes rêves! 

Quand je suis arrivé à la gare, j’ai trouvé des Roms vivant dans la rue et y nettoyant leur linge. Cela m’a choqué. Les images que j’ai vues étaient à l’opposé de ce que j’attendais de la « grande France » que j’anticipais avec des réflexions sur l’humanité les droits et la dignité humaine : suis-je dans un rêve ou dans la réalité? Ai-je raté le bon train et que celui-ci m’aurait emmené pendant que je dormais dans un pays d’Europe de l’Est? Est-ce que le train m’a fait traversé la mer d’une manière ou d’une autre et m’a emmené dans un pays africain sans que je m’en aperçoive ? Y a-t-il un tunnel sous-marin dont je n’aurait pas entendu parler qui m’aurait  amené là-bas.
J’ai alors décidé de passer quelques mois à Marseille. Mais j’avais alors l’idée que l’acceptation que j’avais reçue d’autres villes universitaires me permettrait peut-être d’aller les visiter, et de voir la possibilité de m’y installer au bout d’un certain temps.

Un ami, la 1ere clé pour découvrir la ville

L’une des personnes que j’ai connues lors de mon premier séjour à Marseille, était un jeune  syrien que j’ai rencontré pour la première fois lorsque je suis venu au CROUS. Il avait vu mes documents  et  savait ainsi que je venais du Yémen, alors que moi je n’avais pas vu ses propres papiers.  Il est entré avant moi, et quand il est ressorti, il m’a dit qu’il m’attendrait jusqu’à ce que j’ai fini mon rendez-vous. J’étais étonné, d’autant plus que j’avais une image stéréotypée des Arabes de France, et que j’avais peur qu’il soit un voleur ou un escroc. J’ai ri de mon destin en pensant que j’allais peut-être devoir me battre le jour de mon arrivée ! . Néanmoins, je lui ai dit : « Oui, avec joie. » Je ne comprenais pas pourquoi il m’attendait depuis une heure sinon parce qu’il était  un escroc. Contrairement à mes attentes, c’était un jeune type très sympathique. Il m’a aidé à choisir une résidence universitaire et m’a indiqué les endroits que j’avais besoin de connaître. Nous avons appris à nous connaître, nous sommes devenus amis et, même si nous n’habitions pas dans la même cité universitaire,  nous nous sommes rendu visite toutes les semaines. 

Le jeune homme syrien a été ma première clé pour me déplacer dans la ville. Il m’a initié  notamment aux restaurants où je pouvais manger, au supermarché «Anahit» qui vend des produits orientaux ou encore à la bibliothèque municipale. Et aussi  à des amis arabes qui faisaient des recherches doctorales.

Ça s’est bien passé, et comme j’avais une bourse, ils m’ont donné directement un logement. Franchement, financièrement, ça allait avec la bourse, car ils me donnaient mille euros par mois, et je payais 130 euros de loyer. Ensuite la CAF m’a donné 100 euros d’aide au logement ce qui a ramené mon loyer à 30 euros seulement.
La bourse m’a également permis d’aller au Yémen le premier été, car TOTAL payaient deux billets aller-retour par an. Ils versaient aussi cinq cents euros annuels pour acheter des livres et du matériel d’étude : papiers et travaux de recherche… Ils nous ont également versé une indemnité de déplacement pour des rencontres avec leur entreprise dans différents pays d’Europe. Pour visiter les usines et les installations de l’entreprise.

 

A Noailles, se sentir chez soi

Ma vie à Marseille est passée par plusieurs étapes. Au cours de la première, je vivais encore émotionnellement et psychologiquement au Yémen, même si mon corps était ici. J’aimais visiter des endroits proches de ma culture et de mes attentes psychologiques: les endroits qui partagent ma culture et où l’on parle ma langue. Par exemple, j’allais toujours au marché de Noailles et à Belsunce.

Par ailleurs, j’ai commencé à faire connaissance des communautés de Yéménites résidant dans la ville. J’avais rencontré une étudiante yéménite qui était avant moi, dans le même programme, et elle même avait rencontré une famille yéménite qui vivait ici. Elle les a reconnus parce que quelqu’un au Yémen lui avait donné une recommandation à leur remettre ici. Et elle est devenue proche d’eux après cela. Quand je suis arrivé ici, je l’ai contactée via Facebook. Elle m’a emmené du côté masculin de la famille, et ils m’ont présenté à un groupe de Yéménites qui vivent loin du Yémen depuis trente ans. Et ils avaient un appartement à Noailles où ils se rencontraient et socialisaient. Le premier jour où j’ai rencontré des Yéménites, j’en ai ainsi rencontré environ 25 le même jour.

J’ai aussi commencé à participer à des manifestations et à des séminaires, par le biais d’une association d’amitié franco-yéménite, qui s’efforçait de mettre en relation les Yéménites d’ici avec les Yéménites de chez nous. Elle faisait presque aussi le travail du consulat à Marseille, sachant qu’il n’y a pas de consulat yéménite ici.

Après la première année, j’ai commencé à me faire des amis dans la résidence universitaire. La plupart des étudiants du quartier universitaire étaient des étrangers, à Saint Jérôme. Le début était modeste, ou disons ordinaire. Cela se passait dans le 13ème arrondissement de Marseille. C’est bien comme endroit, près d’une piscine municipale et non loin de l’arrêt de tram.
Peut-être alors étais-je plus intéressé par la nature que par la connaissance des gens. J’ai visité de nombreux endroits naturels de la région. Je suis allé Luminy, à Aubagne, La Ciotat et d’autres villages autour de Marseille, puis dans  la région, et puis j’ai commencé à visiter d’autres régions de France…
Je me déplaçais seul, via Blablacar, la plupart du temps j’allais dans les endroits  où j’avais des amis yéménites qui me recevaient.  Ils faisaient office de logeurs et de guides à la fois Et je leur rendais ensuite le même service..

Après, on va dire que l’étape « yéménite » a pris fin et qu’a commencé l’étape des étudiants.

 

Des endroits où jouer et rencontrer du monde

A partir de  2016, ce fut la phase d’entrée dans la vie française,  à partir du moment où j’ai  compris que la France n’était plus pour moi un lieu temporaire de passage et qu’elle allait devenir ma résidence permanente. D’autant plus que j’avais demandé l’asile, et que la réalité s’imposait à moi et ne procédait plus à mes seules envies. J’ai commencé à faire connaissance avec les groupes et les particuliers du Cours Julien. Il y a eu deux endroits que j’ai commencé à visiter régulièrement : le premier  un restaurant-café à chicha tenu par un Libanais, dont le nom était Yazid, il est décédé maintenant, et le second un bar tenu par un Palestinien.
J’aimais ces deux endroits, parce que je pouvais y jouer aux jeux de sociétés qui me plaisent, aux échecs et au backgammon. En tant que personne, j’aime jouer, et chaque fois que je trouve un endroit où je peux jouer, j’y vais directement. Je me suis rapproché des gestionnaires  et j’ai même  commencé à travailler pour eux. Ainsi je sortais et tous les jours je rencontrais de nouvelles têtes ! 

Si je trouvais quelqu’un qui ne connaît pas la ville, je l’emmenais dans ces endroits où je jouais aux échecs, notamment dans le cours Julien, qui est progressivement devenu ainsi l’endroit le plus important de mon expérience française.

Rester en France / Trouver sa place

Depuis 2014, je me suis presque coupé des Yéménites, surtout depuis que, cette année-là,  j’ai abandonné la religion. Je suis  devenu athée, et cela a fait que je me suis senti rejeté par beaucoup de Yéménites en particulier lors des rencontres collectives. Chaque fois que j’allais à un rassemblement, je me sentais rejeté et j’entendais des formules accusatrices à mon égard. J’ai acheté ma tranquillité en …m’éloignant d’eux. Jouer est alors vraiment devenu une alternative pour briser l’isolement que je ressentais car  cela me permettait à chaque fois de rencontrer de nouvelles personnes.

A une certaine étape de ma vie, le jeu est devenu une sorte de  pilier qui m’a fait découvrir des gens de Syrie, d’Egypte, des Kurdes et des Français, et toutes sortes de gens!
L’enseignement était le premier lieu pour faire connaissance, puis c’était les salles de jeu puis tour à tour les rencontres dans  les bars et  la vie nocturne. Quand j’ai commencé à me dire que j’allais rester ici au moins dix ans, ça m’a aidé à m’ouvrir aux gens qui m’entouraient.

Récemment, le pilier le plus important s’est élargi:  j’ai rencontré ma partenaire (Française) et, il y a quelques mois, nous avons eu un bébé.
Le sentiment de stabilité s’est renforcé et j’ai commencé à sentir que c’était ici ma place.

Lorsque la bourse de Total s’est brutalement arrêtée à cause de la guerre au Yémen, je me suis soudainement retrouvé sans aucun revenu et ma situation s’est détériorée. Après une longue période de dépression, j’ai commencé à essayer de trouver des petits boulots dans les restaurants, les bars et la construction… Je  trouvais ces boulots  grâce au réseau d’amis.
J’ai eu du mal dans ma dernière année d’université, incapable de payer le loyer, alors j’ai commencé à dormir dans le snack où je travaillais le jour.

Une demande d'asile retardée

Je pense que les démarches de l’asile dans mon cas ont été faciles, parce que je venais d’un pays où il y avait la guerre.
Je suis allé au GUDA, à la Préfecture, la première fois à cinq heures du matin, pour éviter la file d’attente. Mais mon numéro de passage était quand même le 20ème. J’ai attendu toute la journée, mais ils ont fermé après le ticket 19. J’ai décidé d’aller dormir devant la porte le lendemain, et j’y suis allé à minuit  et j’ai attendu jusqu’au matin presque sans sommeil.
J’avais pourtant encore deux personnes avant moi. J’ai demandé l’asile, et ils m’ont donné un document qui me permettait de circuler pendant deux ou trois mois, puis un autre après, et qu’il fallait renouveler à chaque fois.

Face à la vie

Je sens que je suis l’une des victimes de la guerre au Yémen. Non seulement à cause de ma déprime et de ma tristesse causées par  la situation au Yémen, mais aussi parce que ma bourse a été coupée.
J’ai vécu la guerre heure après heure, à travers les réseaux sociaux, le téléphone, les amis et la famille, tous les jours.
Ça me manque de retrouver ma famille et de m’asseoir sous la pluie dans mon village.

Avec le temps, les raisons de rester en France ont augmenté, celles de revenir au Yémen ont diminué. Surtout avec un enfant. Pour moi, le Yémen, c’est maintenant devenu une destination possible pour une visite ou pour un travail… temporaire.
Je n’ai pas décidé de demander l’asile immédiatement après le déclenchement de la guerre, J’ai passé un an dans la confusion, pensant revenir malgré la guerre. Bien qu’il n’y ait pas d’entreprises qui puissent m’employer là-bas.

Je me compare toujours au personnage central du roman soudanais de Tayeb Saleh « Saison de la migration vers le Nord », Il est assis au bord du Nil, entre le ciel et l’eau, regardant parfois le soleil en face, et parfois le fond de l’eau,  il hésite entre deux options, soit monter au sommet, soit plonger pour aller vers le fond. Il se dit qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne décide pas,  On ne choisit pas son peuple, sa religion, les gens qui nous entourent… Mais je vais décider, pour la première fois, pour moi et pour les gens qui m’aiment, de vivre.

Je savais que pour moi le retour au Yémen signifiait faire face à la mort alors qu’ici, je fais face à la vie. Et en étant ici, il est également possible pour moi d’aider les miens dans leur vie, dans l’espoir de les revoir.

 

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