Recit de Ahmad

Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille

En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.

 

Un départ non souhaité

J’ai une formation d’ingénieur, j’ai fait des études en management et au pays je travaillais pour les américains. Quand ma région a été occupée par les talibans et par Daesh, j’ai a dû quitter à cause du danger que cela représentait.

J’ai fait 3 mois et demi de voyage pour arriver en France .
Quand je suis arrivé à Marseille je ne connaissais personne ici. Je restais à la gare et j’ai rencontré des afghans car il y en a beaucoup à Marseille. Il m’ont expliqué les démarches à faire pour déposer une demande d’asile.
Quand je suis arrivé je suis resté 3/4 jours à côté de la Gare St Charles et je dormais dans un parc. J’ai rencontré un afghan qui a eu le statut de réfugié et qui est à Marseille depuis 3 ans et qui travaille, il m’a aidé et m’héberge chez lui.

A la Madrague, comme en Bulgarie…

J’ai eu l’ADA (allocation pour demandeur d’asile)  pendant 4 mois, le temps de l’instruction de la réadmission en Bulgarie (Procédure Dublin). La PADA (Plateforme Asile) m’a aidé pour mes démarches. J’ai eu la CMU et aujourd’hui encore j’ai une couverture maladie.
J’ai demandé de l’aide pour avoir une solution d’hébergement, mais il n’y en avait pas, à part le 115 et je ne pouvais pas aller dormir dans un endroit comme ça… la Madrague (Unité d’hébérgement d’Urgence) me rappelle trop les camps en Bulgarie, où il y avait beaucoup de monde dans la même pièce, enfermés…

Quand je suis arrivé en Europe, mon premier contact a été avec la police bulgare : ils ont été tellement mauvais avec nous… ils nous ont battus, mis dans des lieux insalubres, sans pouvoir prendre une douche, sans nourriture. Nous sommes restés avec les mêmes vêtements pendant plusieurs jours. Les policiers bulgares m’ont pris mes affaires, mon téléphone et mon argent… je n’avais plus rien…
Le conditions en Bulgarie sont tellement graves que j’ai développé des problèmes psychologiques, j’ai des difficultés à être entouré. À l’arrivée en France j’allais très très mal, je ne demandais pas de l’aide sauf pour ma santé. Quand j’ai eu ma CMU, j’ai demandé des orientations médicales parce que j’étais tellement mal…
Pendant les quatre premiers mois, je ne dormais pas plus de 2 heures, je ne pensais pas à manger. Je pensais tout le temps à ma famille, ma femme et mes deux enfants, qui sont restés en Afghanistan, à la frontière avec le Pakistan, il y a les Talibans, il y a Daesh. Ici je n’ai pas d’argent, pas de travail : je devrais les aider, puisqu’ils n’ont vraiment rien, mais je ne peux pas…
Je parle très peu avec eux car je n’ai pas assez de crédit pour les appeler. Ma famille est loin, je suis à Marseille en France et ma famille c’est loin pour moi…

Le matin à 5h je vais à la Gare St Charles et j’attends pour du travail. Là-bas il y a beaucoup de personnes qui attendent le matin d’être pris pour du travail au noir à la journée… mais c’est difficile parce qu’il n’y a pas beaucoup de travail et il y a beaucoup de monde.

Procédure Dublin : 18 mois pour recommencer à zéro

La Préfecture m’a placé en procédure Dublin, du moment que mes empreintes ont été prises en Bulgarie, et m’a dit que je ne pouvais pas avoir de logement tant que j’étais en procédure Dublin. À leur dire, j’aurai peut-être droit à un hébergement seulement après que la Bulgarie aura donné la réponse. J’ai attendu pendant 4 mois la réponse de Bulgarie, qui a accepté la réadmission, et ensuite j’ai présenté un recours au Tribunal Administratif de Marseille, qui a malheureusement confirmé la réadmission. Aujourd’hui je dois attendre pendant 18 mois pour pouvoir demander l’asile en France. Je n’ai rien, pas d’argent, pas de papier, pas de logement.

Dans les locaux d’Espace j’apprends le français, je suis des cours à l’association Solidarité Provence Afghanistan ; je participe aussi aux cours d’une autre association, vers le Vieux Port, nommée Osons la Charité.

Pour la procédure Dublin j’ai été aidé par un avocat. La Préfecture m’a donné un papier, en même temps que l’arrêté de réadmission, avec des adresses d’association qui fournissent de l’aide et du soutien juridique.
Depuis le mois de mars 2017 je n’ai plus rien et je dois attendre 18 mois pour pouvoir demander l’asile.
Je suis suivi par un médecin psychiatre qui est au centre-ville, vers l’Alcazar. Il me donne des médicaments pour dormir et pour soigner mon mal à la tête constant… Au début j’allais le voir avec un traducteur mais maintenant je vais sans traducteur.

Marseille : le parcours du combattant…

Marseille ce n’est pas bien pour les étrangers. A Paris je connais des personnes qui ont fini la procédure Dublin et qui ont eu un hébergement au bout de 6 mois. Je suis arrivé avec un ami qui a continué le voyage jusqu’à Paris et qui est aujourd’hui réfugié, alors que, lui aussi, il était en procédure Dublin Bulgarie.

Quand je suis arrivé je suis resté dans un squat avec d’autres afghans et pakistanais, très insalubre, sans eau, je ne sais pas comment on peut vivre dans ces conditions, ça m’a rappelé les camps de Bulgarie… Mais les gens restent là-bas parce qu’il n’y a aucun autre endroit où aller.

À la fin de mon voyage j’étais très triste, à cause des difficultés et des abus auxquels j’avais dû faire face, mais à l’arrivée à Marseille je me disais qu’ici j’étais en France et que ça irait bien pour moi…
Je pense écrire mon histoire un jour. Un livre, mon histoire pour montrer ce que j’ai vécu et pour montrer ma vie ici qui est trop difficile. Je veux aussi expliquer aux autres afghans comment on est traités en Europe.
Quand je me réveille la nuit je pense qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que c’est ma vie aujourd’hui… je me demande si je dois rentrer en Afghanistan mais là-bas ce n’est pas possible pour moi…
J’avais un bon salaire, je travaillais une maison, une bonne vie, aujourd’hui en France je n’ai rien. J’attends, je suis très loin de ma famille… c’est très dur d’être si loin de sa famille pendant toutes ces années. Ici il n’y a rien pour moi. Je pense que je n’ai rien. C’est très difficile pour moi de demander de l’aide, je me suis toujours débrouillé seul.
Ce n’est pas juste la France, c’est toute l’Europe qui nous traite mal.
Au début j’avais prévu d’aller en Angleterre parce que je parle anglais et que je travaillais pour une compagnie anglaise. En arrivant en France je suis allé à Calais mais là-bas c’est tellement dangereux… il y a beaucoup d’afghans qui sont morts en essayant de passer.
J’avais déjà passé du temps dans la jungle, 5 jours en Bulgarie, et c’est là que la police a tout pris de moi : mon argent, mon téléphone avec tous mes contacts, je ne pouvais plus contacter ma famille… J’ai préféré ne pas repasser par là en restant dans le Nord.

 

 

 

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