Récit de July
L’arrivée, après une vie en Italie
J’ai vécu au Pakistan jusqu’à mes 14 ou 15 ans. À cet âge, j’ai rejoint ma famille en Italie ; j’y avais déjà passé trois mois avant, quand j’avais 7 ans, mais je m’y suis installée seulement 7 ans plus tard.
J’avais un visa pour arriver en Italie, et avec ma famille on a pu obtenir un permis de séjour illimité, sans aucun souci.
Dans ma famille, nous sommes musulmans, et du moment que je n’ai plus ma mère (mon père vit avec une italienne), c’était mon père qui décidait tout pour moi. Il est une personne un peu fermée, je n’avais pas le droit de sortir, ni pour aller à l’école…
Quand j’ai grandi, à l’âge de 21 ans, j’ai fait des choix : j’ai quitté ma famille. Je me suis retrouvée à la rue, sans savoir quoi faire ni où aller. À ce moment, la Mairie de mon village m’a beaucoup aidé : ils m’ont trouvé un logement, une place à l’école… De mon côté, j’avais appris l’italien toute seule, en regardant la télé, en parlant avec ma mère italienne. Ils étaient surpris de mon niveau : en trois mois j’ai terminé la troisième année du collège ; puis, je suis allée au Lycée, mais finalement j’ai opté pour une école hôtelière.
Un an après, j’ai terminé l’école et j’ai décidé de venir à Marseille, où je savais que j’allais retrouver le fils de la directrice du Lycée, qui m’avait beaucoup aidé au village, en Italie. C’est des gens bien, qui ont beaucoup fait pour moi, et je savais qu’à Marseille aussi je pouvais compter sur lui.
D’abord, il m’a hébergé ; j’ai rapidement commencé à travailler en gardant le petit d’une fille du même village que nous, pour gagner quelque sous.
Premiers pas : un visa Schengen inutile en France
En arrivant je pensais m’inscrire aux cours de langue de l’ADEF, qui sont en plus rémunérés. Ce sont des cours intensifs, tous les jours de 8 heures à 17 heures. Ils considèrent que cet effort que tu fais est important pour ton intégration, et pour ce motif ils te payent, à partir du moment où tu n’as pas le temps de travailler à côté.
J’avais 23 ans, j’étais dans les clous pour m’y inscrire ; ils ont pris mon dossier et ils l’ont envoyé à Paris. La réponse est arrivée 5 mois plus tard, et n’était pas bonne. Étant de nationalité pakistanaise, je n’avais pas le droit de résider en France, donc ils ne pouvaient pas me payer.
J’avais fourni une pièce d’identité italienne, sur laquelle figurait néanmoins ma nationalité pakistanaise… Mais en Italie j’avais un permis de séjour illimité ! Je ne pensais pas d’être clandestine en venant en France !
Ils m’ont dit que si je pouvais présenter une lettre officielle qui affirmait que j’avais le droit de travailler partout en Europe ils auraient débloqué mon dossier : je suis allée en Italie, j’ai demandé à l’assistante sociale qui me suivait à la Mairie du village… mais tout le monde me disait que ce type de document n’existait pas. Par contre, ils me confirmaient qu’avec le visa émis par l’Italie j’avais sans doute le droit de travailler partout en Europe.
À présent, je suis en train de renouveler le visa italien ; j’ai aussi le problème que mon passeport pakistanais a expiré. J’attends depuis trois mois qu’ils me fassent une pièce d’identité au Pakistan, avec laquelle je pourrai réclamer mon passeport au consulat, à Rome : une fois que je l’aurai, l’état italien me donnera un visa avec un code différent, contenant deux lettres (je suppose UE) qui certifient que je peux bien bouger et travailler en Europe.
Et avec ce visa, je pourrai être rémunérée pour les heures de cours que je suis, et surtout travailler en France. Ce n’est pas clair s’ils me payeront les mois de cours que j’ai déjà suivi… ça on le saura le moment venu.
Mais en attendant, je suis bien une clandestine ! Je n’ai pas le droit de travailler en France, ni de suivre les cours de langue pour étrangers… et surtout si je me fais contrôler je risque de me faire renvoyer au Pakistan ! Et qu’est-ce que j’y ferais au Pakistan, je n’ai rien à faire là-bas… j’ai grandi en Italie, je n’ai plus rien des coutumes pakistanaises… c’est la galère!
En attendant, sans passeport je ne peux même pas rentrer en avion en Italie pour faire les papiers, je suis obligée d’y aller en voiture, et à chaque fois c’est un risque à la frontière de Vintimille.
L’année prochaine ça pourrait changer : ça fera 10 ans que je suis arrivée en Italie, je pourrai demander la nationalité. Ils demandent les contrats de travail des dernières années, être là depuis au moins 10 ans, ne pas avoir de soucis avec la justice… Mon père et mes frères l’ont déjà prise, il ne reste plus que moi!
Santé et sécurité sociale
J’ai fait demande à la CPAM à deux reprises: la première fois j’ai présenté la carte vitale européenne, émise par l’Italie. La deuxième j’ai essayé en disant que je n’avais pas de ressources, pour avoir la couverture de base qui devrait être garantie à tout le monde.
La première fois ils m’ont dit que je n’avais pas droit à une carte vitale française, du moment que j’avais déjà l’italienne; le problème est que l’italienne n’est acceptée nulle part (même si elle s’appelle “Tessera Sanitaria Europea”) et tu te retrouves à devoir payer à chaque fois. Et les informations qu’on te donne sur les modalités de remboursement ne sont pas claires…on n’arrive même pas à savoir si c’est la sécu française ou l’italienne qui doit rembourser. On m’a juste donné les formulaires pour faire les demandes de remboursement, mais aucune autre information.
En tout cas en France il n’y a pas d’espoir: partout on te ferme des portes devant le nez! J’ai parlé avec pas mal d’italiens ici, et déjà eux ils galèrent…figure-toi pour nous comme elles sont les choses, nous les étrangers, venus du Pakistan…nous ne sommes rien!
Les difficultés pour ouvrir un compte en banque
À l’école de langue ils m’ont prévenu que, si jamais on arrive à m’inscrire régulièrement, je devrai avoir un compte bancaire français. Avec un ami italien, nous sommes allés à la Banque Postale des Réformés, pour en ouvrir un à mon nom.
La dame qui nous a reçue m’a tout de suite dit: “Tu n’as pas de nationalité italienne, non?”. Le copain qui m’accompagnait a alors demandé qu’est-ce que ça avait à voir avec l’ouverture d’un compte, et la dame l’a apostrophé: “Pour vous, les italiens, c’est facile…vous faites des papiers pour tous et n’importe qui!”.
Ils se sont embrouillés, pas besoin de le dire…
En Italie, à la Banque Postale on m’a ouvert un compte en dix minutes: j’avais juste donné le récépissé de ma demande d’un titre de séjour! Ici on s’est pris des insultes, envers mon ami, envers les italiens et moi personnellement, plus ou moins indirectement la dame était en train de dire que j’étais n’importe qui.
La France c’est le pays des papiers… n’importe où tu vas, tu dois emmener les papiers, puisque on va te les demander.
Finalement, on est arrivé à m’ouvrir un compte dans la banque de mon pote, une filiale du Crédit Mutuel. Ils n’ont pas demandé plus de renseignements sur ma nationalité…peut-être que c’est juste la Banque Postale qui exagère, ou bien c’est eux qui n’appliquent pas la loi et veulent juste avoir un client de plus.
Associations et autres lieux ressource
Silvia, une amie du copain italien qui m’aide, travaille dans une association qui accompagne les jeunes dans la recherche d’un logement et d’un emploi. Elle a essayé de me filer un coup de main, mais quand elle a su qu’à l’école de langue je n’étais pas payé on a renoncé : sans ressource elle ne pouvait pas me suivre, puisque l’accès au logement devenait impossible. Du coup, j’attends les papiers, pour trouver un emploi et pouvoir enfin trouver une solution locative.
Et enfin, la Casa Consolat, où j’ai trouvé des gens qui m’ont beaucoup aidé.