Récit de Omer
L’arrivée en France: une prolongation forcée d’un court séjour
Je viens du Kurdistan turc, plus précisément de la ville de Diyarbakir. Dans ma ville, j’étais étudiant d’ingénierie de l’environnement et aussi jeune travailleur, comme chef de projet dans le milieu associatif.
C’est dans le cadre d’un échange Erasmus que je suis venu en France, à Marseille: des étudiants de plusieurs pays étaient invités à participer à deux rencontres, à distance de deux mois, à Marseille (avec moi, il y avait un estonien, un roumain, un turc, un bulgare et un français).
La première rencontre s’est tenue en Octobre 2015; je suis resté ici seulement une dizaine de jours, puisque en même temps j’avais mon travail, à Diyarbakir. Il s’agissait d’un projet associatif d’accueil, et de l’accompagnement des syriens et des kurdes qui passent la frontière et arrivent dans notre ville.
En décembre, je suis retourné à Marseille, pour présenter justement ce projet, pendant 5 jours; mais pendant que j’étais ici, les choses aux pays ont rapidement évolué. L’attaque portée par l’armée turque contre les communautés kurdes, qui jusqu’à ce moment, s’était concentrée seulement sur les montagnes, a commencé à s’étendre dans les régions plus habitées, jusqu’à atteindre Diyarbakir. J’ai parlé avec mes parents, qui m’ont informé que la police avait détruit le siège de notre association et ils m’ont fortement déconseillé de rentrer.
Me voilà coincé à Marseille, avec mon petit sac à dos pour 5 jours, sans argent ni contacts en ville.
Suisse et Dublin
N’ayant pas de contacts à Marseille, j’ai choisi de me rendre en Suisse, où j’ai des amis et des connaissances originaires de ma ville. J’ai pris un train pour Bâle, où un ami pouvait m’héberger.
En Suisse, j’ai formulé une demande d’asile; trois mois plus tard, les autorités helvétiques m’informaient que ma demande ne pouvait pas être acceptée, car je disposais d’un Visa français. Selon le accords de Dublin, j’étais obligé de faire ma demande à la France.
Retour à Marseille: la demande d’asile
Rentré à Marseille, j’ai dû m’appuyer sur les petits réseaux que j’avais pu construire pendant mes courts séjours à l’automne précédent.
Le problème est que, depuis le meurtre des trois militantes kurdes à Paris, en 2013, les centres culturels kurdes à l’étranger vivent cachés, par crainte des services secrets turcs. Il m’était donc impossible de les contacter à l’avance. J’ai demandé à des personnes qui participaient à l’échange culturel Erasmus+ s’ils avaient des contacts avec les communautés kurdes marseillaises, et j’ai eu de la chance: quelques jours après, j’étais en contact avec le Kurdistan Centre marseillais.
Ils m’ont expliqué que, pour déposer une demande d’asile, il fallait passer par la Plateforme Asile, qui fixe un rendez-vous à la Préfecture. J’ai suivi ce parcours, et, actuellement, j’attends d’être convoqué par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA), pour que mon cas soit examiné. Ils m’ont dit que ça pouvait prendre de 6 à 9 mois pour être convoqué à Paris, et après il faudra attendre la décision. En attendant, je n’ai pas le droit de travailler.
Bizarrement, lors de mes visites à la Plateforme Asile et à la Préfecture, je n’ai pas rencontré d’autres kurdes en demande d’asile, je ne saurais pas dire pourquoi. J’en ai cherché, ça aurait été la façon la plus facile d’obtenir des informations au sujet de toutes ces procédures…
A la Plateforme Asile, j’ai ressenti la volonté de travailler pour accompagner les demandeurs, mais j’ai aussi constaté que cela était juste impossible, en raison des moyens insuffisants, par rapport à la quantité de cas à traiter. Un exemple: ils offrent une domiciliation, pour qu’on puisse recevoir du courrier. J’allais à 8 heures devant leur siège, pour le retirer, et j’attendais jusqu’à 13 heures. Cinq heures pour retirer 2 enveloppes!
Cinq fois plus que le temps qu’ils m’ont accordé pour raconter mon histoire, quand on a monté le dossier de demande d’asile.
En plus, ce qui me semble très grave, c’est que la traductrice d’office qui m’a été proposée était une femme arménienne qui visiblement n’était pas rentrée en Turquie depuis longtemps: j’avais fréquemment l’impression qu’elle ne comprenait pas ce que je disais. Malheureusement, à ce moment-là, je n’avais pas un bon niveau de français, ni l’argent pour me payer le traducteur de mon choix (200/300 euros).
Les études interrompus
L’impossibilité de rentrer à Diyarbakir signifie aussi l’abandon de ma carrière universitaire, alors que j’étais à deux examens de la fin de mon parcours. J’ai demandé ça aussi, à la Plateforme Asile: pourrais-je terminer ici mes études? Faut-il que j’attende la décision sur mon asile pour reprendre les études en France?
Mais il n’ont pas su m’aider, ni me suggérer d’autres structures à rencontrer pour y voir plus clair.
Plus tard, en parlant avec la CIMADE, on m’a conseillé de rencontrer le RUSF (Réseau université sans frontières), qui a effectivement étudié mon cas, m’a renseigné sur mes droits (apparemment il n’est pas nécessaire d’attendre la décision sur mon asile), et m’a mis en contact avec un professeur de la Université Aix Marseille.
Logement et nourriture
Le premier problème à Marseille c’était le logement: la majorité des jeunes kurdes que j’ai rencontré habitaient avec leurs familles, leurs parents, et il n’avaient pas moyen de m’héberger. J’ai passé les deux premiers mois chez le président du Kurdistan Centre d’ici, qui m’a aussi aidé quand j’étais à court d’argent ; plus tard, j’ai retrouvé un vieil ami, avec qui on a commencé à chercher un appartement à louer en colocation. Nos recherches ont duré deux mois, pendant lesquels j’ai dormi sur le canapé d’un autre copain, et finalement on a trouvé une possibilité de location et on a pu emménager.
Nous n’avons pas dû monter un dossier à présenter au propriétaire, nous avons eu la chance de remplacer quelqu’un dans une coloc existante: j’ai expliqué ma situation aux locataires qui restaient, et ils connaissaient aussi un bar associatif pour lequel j’étais bénévole… ça a peut-être aidé. En tout cas, ça c’est bien passé, j’ai pu trouver une solution sans devoir monter un dossier et justifier des ressources.
Et d’ailleurs cela n’aurait pas pu être possible, du moment qu’en tant que demandeur d’asile, la Préfecture m’interdit de travailler (je peux juste faire du bénévolat). Je perçois l’Allocation pour les Demandeur d’Asile (ADA), un peu plus que 300 euros, mais cela n’aurait surement pas suffi pour rassurer le propriétaire d’un logement ou une agence immobilière.
En tant que demandeur d’asile, j’aurais eu droit à une place en Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), mais à la Plateforme Asile on m’a toujours dit qu’à Marseille il n’y avait pas de places disponibles, que je pouvais m’inscrire sur les listes d’attente, mais que, en tant que jeune majeur isolé, je n’avais pas de chances d’avoir une place.
La seule solution qu’ils me proposaient, c’était d’appeler le 115 (L’Unité d’Hébergement d’Urgence – UHU) : c’est un service d’hébergement d’urgence au jour le jour, il faut appeler à chaque jour pour réserver une chambre dans un foyer en ville. Mais souvent, on n’arrive même pas à communiquer… et en plus quand on n’a pas d’argent ni de téléphone, comme c’était le cas pour moi, ça devient compliqué même de faire un appel.
Je suis retourné une dizaine de fois à la Plateforme Asile, en expliquant ces difficultés pour arriver à parler avec le 115 et bénéficier de ce service, mais il ne faisait que me répéter: “Vous devez appeler le 115!”.
Plusieurs personnes m’ont conseillé de m’adresser à la Plateforme Asile pour avoir des informations et du soutien, mais j’ai compris que ce n’est pas le cas; je n’ai jamais eu des bons conseils, je crois qu’il ne sont pas là pour aider les migrants.
L’attente à Marseille
Je pense que Marseille est un bon endroit pour un étranger : ici tout le monde est étranger, c’est une ville extrêmement multiculturelle, et même si on ne parle pas très bien le français, on ne se sent pas mal à l’aise. Personne ne le parle correctement!
Et il y a plein d’associations et de bars associatifs qui aident beaucoup, c’est facile de rentrer en contact avec eux et commencer à collaborer, en tant que bénévole. C’est ce qui m’est arrivé avec Casa Consolat et aussi à Dewrana Def, un atelier de lutherie où l’on répare des instruments kurdes, turcs, arméniens, mais aussi français et africains. C’est un gars originaire de ma ville qui l’a ouvert ; je l’avais rencontré quelques fois au pays, et ici il m’a aidé plusieurs fois. Du coup, je viens au laboratoire pour lui filer un coup de main et en passant j’apprends à jouer du daf.
Des conseils pour manger
À Casa Consolat, ils servent des repas solidaires, après le service de midi, s’il reste des choses à manger.
Sur le cours Julien, il y a le restaurant social Noga, qui sert des repas aux personnes en situation de précarité, mais il faut être envoyé par l’un de leurs prestataires. Pour les réfugiés, c’est la Plateforme Asile qui peut t’y inscrire.
Entre la Gare et les Réformés, on trouve plusieurs restaurants kurdes, par exemple, le Marmara aux Réformés. C’est des bons restaurants, pas chers, et c’est là aussi qu’on peut trouver des informations utiles pour connecter avec la communauté kurde marseillaise.
Et pour s’habiller
Quand je suis arrivé à Marseille je n’avais qu’un petit sac à dos, puisque je devais rentrer au bout d’une semaine. Je me suis retrouvé ici sans vêtements, et sans argent. Je n’ai pas trouvé d’endroit pour m’habiller gratuitement, par contre je suis tombé sur les magasins de Emmaüs, où j’ai pu m’acheter des vêtements bons marché.