Récit de Waheed

Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille

En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.

 

Des loups et des tirs

Je ne sais plus dire à quelle date j’ai quitté l’Afghanistan. J’ai traversé le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie, la Macédoine, la Croatie, la Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Suède…. 

Beaucoup beaucoup de morts sur la route, mes amis sont morts… Un ami est tombé de la montagne, je suis descendu j’ai pris ma veste je l’ai couvert et je suis reparti. La police iranienne nous tirait dessus, un ami a reçu une balle dans le cœur.

La police Bulgarie nous arrête, nous demande l’argent, on court dans la jungle, ils attrapent un ami et lui cassent le bras. Ils disent qu’on doit appeler la famille pour envoyer l’argent sinon mort… trop de morts… j’ai vu trop de morts…

Je restes 6 mois en Suède, dans les parcs, dehors et après je me suis fait arrêter par la police suédoise. Ils m’ont renvoyé en Bulgarie.

En Bulgarie les policiers l’amènent dans un centre en dehors de Sofia, « a Shikpol il y a beaucoup de monde, afghans, irakiens, pakistanais… 

Nous sommes très concentrés à écouter Waheed, nous le regardons, il a la tête dans les mains et ne parle plus… nous attendons la suite de son histoire… et d’un coup il sursaute et crie… nous sursautons par cette réaction imprévue… il rigole… et dit:

Ça c’est le loup… dans la jungle en Bulgarie avec mes amis une nuit on a était réveillé et en face de nous je vois un loup avec ses petits, on a eu une sacré peur… comme vous maintenant ! On a laissé le loup et nos sacs dans la foret.

Après Belgrade, l’Hongrie… avec un GPS on a marché, à trois. Puis l’Autriche, l’Allemagne et là « pinkar » (les empreintes). La police allemande nous ramène en Autriche! Là-bas on se cache dans la jungle, puis on rejoint l’Italie et ensuite Marseille. Ici, « pinkar » à nouveau… Dublin… je suis Dublin partout… Bulgarie, Hongrie, Autriche, Allemagne… olala… après Suède Autriche… 

Il est enregistré au GUDA au printemps 2016. A Marseille Waheed reste 11 mois en procédure Dublin.

Beaucoup de problèmes ici, à Marseille on dort dans le parc. J’appelle le 115, beaucoup de fois, mais on n’y a jamais de place… pas Madrague, pas foyer… Quand il fait chaud c’est pas grave, je dors dans les parkings, au Prado, mais quand il fait froid!  Beaucoup problème (Waheed claque des dents et frisonne pour nous montrer le froid). Dans la jungle en Bulgarie un de mes amis est mort de froid : je me réveille le matin et il est mort… (il fait le geste de bouger un corps). 

La demande d’asile et les problèmes à l’OFII

Il peut enfin déposer sa demande d’asile et est basculé en procédure normale. L’OFPRA enregistre sa demande au printemps 2017. Il n’a aucune solution d’hébergement. Il reste dans la rue.

Depuis le mois de février 2017 il ne touche plus l’ADA. Son allocation est bloquée mais il ne sait pas pourquoi. Il essaie de comprendre et de débloquer la situation par lui même mais n’y arrive pas.

L’OFII, franchement, m’énerve!  Elle veut parler en français et je dis « Non, je parle anglais » mais elle insiste pour le  français. Je leur dis que je n’ai pas d’argent, je supplie de parler avec un ami qui parle anglais, pour qu’il traduise, mais la dame ne change pas de position: on parle français! Sauf que je ne la parle pas… Je me fâche tellement que j’attrape le téléphone et le balance contre le mur. Elle appelle la police… 3 hommes m’attrapent et me mettent dehors… Ils disent : « Allez, dehors !!

Je me retrouve dehors, devant leur porte, sans un sous…Depuis, je retourne devant leur porte tout les jours, mais elle reste fermée, pour moi.

Les professeurs de français envoient des mails à l’OFII, plusieurs mails… pour comprendre la situation et pourquoi c’est bloqué mais aucune explication… Ça fait 7 mois que Waheed n’a aucune ressources. Il n’a pas d’hébergement.

Après plus de deux ans de périple, Waheed a été reconnu par une institution européenne comme devant bénéficier d’une protection. Mais les problèmes ne sont pas finis. Il n’a aucune ressource.