Récit de Alì

La décision de quitter le Maroc et m’installer en France

 

J’ai décidé de partir parce que j’avais de problèmes politiques avec le régime au Maroc. Les problèmes ont commencé en 2011, et en 2013 c’était désormais impossible de continuer à vivre là-bas. La première fois que je suis venu à Marseille c’était parce que le MuCem m’avait invité à parler de la jeunesse arabe et les réseaux sociaux pendant les printemps arabes. Je suis resté à Marseille pendant deux semaines, j’étais hébergé à l’hôtel, je bougeais en taxi, je n’avais pas de problèmes, bref j’ai été vraiment gâté. La deuxième fois que je suis venu c’était pour une résidence d’écriture comme journaliste à Cassis : j’y suis resté un mois et demi et cette fois aussi c’était très bien, j’avais un salaire et tout ce dont j’avais besoin. Mais la décision de m’installer en France je l’ai prise plus tard, quand je me suis rendu compte que c’était impossible de continuer à vivre au Maroc : j’était tabassé chaque jour. La propagande dans les sites et les journaux pro-régime affirmait que j’étais un espion de l’FBI, que je n’étais pas maroquin et que l’FBI m’avait envoyé au Maroc pour détruire le pays. À ce moment-là j’ai décidé de partir, en 2013. À l’occasion de ma deuxième visite j’avais rencontré un prof qui m’avait proposé de venir en France et m’inscrire en Master. J’ai donc décidé d’accepter sa proposition.

Au Maroc, j’avais une bonne situation au niveau financier : j’étais correspondant pour Ria Nivosti [agence de presse russe], c’est l’équivalent russe de l’AFP (Agence France-Presse); je travaillais aussi pour un journal maroquin. J’étais très bien payé, j’avais un salaire que je n’imagine pas avoir même ici maintenant, j’avais une maison, j’avais une copine avec qui on était très amoureux depuis cinq ans, et à cause des problèmes j’ai été obligé de partir. Une association qui défend la liberté de journaliste m’a proposé trois solutions. Ils avaient des lieux où je pouvais être hébergé en Espagne, aux États Unis, et le troisième c’était à Cassis. J’ai choisi Cassis parce que je connaissais déjà Marseille et j’avais quelques contacts ici. Et aussi parce que ce n’est quand même pas loin du Maroc, et moi j’ai toujours la sensation qu’il faut rentrer un jour. Je voulais rester près de mon pays. De plus, j’avais un niveau moyen de français. C’est pourquoi je n’ai pas décidé d’aller l’Espagne.

 

Le passage du visa touristique au visa étudiant

 

Je suis donc allé à Cassis, avec un visa touristique, et après j’ai du rentrer au Maroc pour demander un visa étudiant. En effet, il est impossible de passer d’un visa touristique à un visa étudiant en restant en France. Pour cela il est nécessaire de rentrer dans son pays et déposer la demande au consulat français. Le seul moyen de changer son statut sans quitter le territoire français est celui de déposer une demande d’asile. Mais vu que je suis trop attaché à mon pays, et que j’ai une responsabilité vis-à-vis de mon pays, j’ai décidé de ne pas demander l’asile et demander plutôt un visa étudiant, parce que quand on est réfugié on ne peut plus rentrer dans son pays.

Cela a été difficile d’avoir le visa étudiant français au Maroc. Pour le visa touristique c’a été plus facile : généralement ils te demande de posséder un salaire correspondant à cinq fois le salaire minimum d’un maroquin ; une maison ; un contrat de travail à temps indéterminé. J’avais tout cela, du coup ce n’était pas un problème. Le problème c’était de passer d’un visa touriste à un visa étudiant. C’était trop difficile, vu que le consulat français au Maroc est très mal organisé ; et en plus ils continuent à se considérer comme de colon. Depuis le moment de la colonisation il y a toujours cette sensation d’infériorité et supériorité. Tous les européens peuvent rentrer au Maroc, sans visa, sans riens, seulement avec leur passeport, et même avec leur carte d’identité. De l’autre côté, les maroquins et les africains n’ont pas ce droit, le droit de la circulation, et l’injustice tu la vois dans les yeux des gens. Les européens viennent, ils peuvent travailler, ils peuvent faire du tourisme, ils peuvent se reposer, et les autres ils ne peuvent pas, vu qu’on est dans un monde révoltant.

Donc j’étais au Maroc, j’essayais d’obtenir un visa étudiant pour la France, et c’était juste à ce moment-là qu’il m’est arrivé un incident : j’ai été tabassé par la police, c’était trop violent… J’ai risqué beaucoup, j’étais bleu, j’avais des traces dans tout mon corps. De fait, l’impossibilité de changer mon statut en restant en France, cela m’a causé de me mettre en danger.

Moi j’avais un visa touristique en cours de validité et pour passer au visa étudiant il faut dépenser beaucoup d’argent et surmonter beaucoup de difficultés. Tous les maroquins, tous les maghrébins, tous les africains, tous les non européens, au moment où on veut demander un visa étudiant pour la France, il faut qu’on paye 60 euros pour la demande et 60 euros pour l’assurance. Et si finalement ta demande n’est pas acceptée, ils ne te rendent pas toujours ton argent. Et le cinquante pourcent des demandes n’est pas accepté. Mais il y a plein d’autres problème : il te faut un garant qui aie 10000 euros dans son compte bancaire ; il faut que tu aies aussi l’argent pour payer le billet d’aller et de retour. Moi j’étais pressé, car l’année scolaire en France allait bientôt commencer, donc le billet pour rentrer en France je l’ai payé 300 euros, parce que j’ai du le prendre le vendredi pour le lundi. Ils m’ont donné le visa trop tard, sans aucune justification, il me disaient juste « retournes demain, retournes demain » et après il te disent « ton visa n’est pas prêt ». C’était comme ça pendant 15 jours. J’ai eu de la chance parce que j’avais des amis qui connaissaient des gens au consulat, du coup j’ai été obligé d’utiliser ces contacts pour faire bouger mon visa, parce qu’à un moment donné, le secrétariat de l’université française m’a dit « si lundi tu ne sera pas ici, tu ne pourra plus t’inscrire, car l’année scolaire sera déjà commencée ». Et je pense aux gens qui n’ont pas de contacts : j’ai connu notamment un nigérian qui était au Maroc avec une carte de séjour qui n’était plus valable, et lui il avait un accord avec une université française. Au consulat français au Maroc ils ont tardé à lui donner son visa jusqu’à quand l’université ne pouvait plus l’accepter. À ce moment-là, lui il était doublement perdu : c’est-à-dire qu’il ne pouvait plus renouveler sa carte de séjour au Maroc – parce qu’il pensait que son dossier pour demander le visa en France allait marcher – et donc il a été renvoyé au Nigeria. Et il y a plein d’exemple pareille de personnes qui étaient avec moi, environ mille ou mille cinq-cents personnes.

Tout cela – le voyage, le gaspillage d’argent, la recherche des garants – c’est le blocage mise en place par la bureaucratie. En théorie tout devrait être facile : si j’ai un visa valide, changez moi ce putain de visa et on finit. Si c’était comme ça, je n’aurais pas été tabassé, je n’aurais pas risqué ma vie, je n’aurais pas été obligé à payer tout l’argent que j’ai payé pour l’aller-retour, pour l’assurance (qui ne sert à rien) et pour la demande du visa.

Le choix de ne pas déposer une demande d’asile

 

Moi je ne voulais pas déposer une demande d’asile, parce que j’ai envie de rentrer un jour au Maroc. D’ailleurs, être un demandeur d’asile m’aurait procuré beaucoup « d’avantage ». J’utilise ce terme entre guillemets, parce qu’à vrai dire ces ne sont pas des avantages, ce sont plutôt des droits humains : avoir un hébergement, avoir un minimum pour manger. Et tant que réfugié, j’aurais eu aussi la possibilité d’être boursier, c’est-à-dire de recevoir de financements par l’université.

(55’) Dernièrement ils ont fait un programme pour aider les réfugiés à s’inscrire à l’école, avec des aides financières et des cours de français. Mois, quand j’ai demandé d’avoir accès à ce programme ils m’ont dit non. C’était un programme dédié aux refugiés. Moi je suis exilé mais je ne suis pas réfugié. J’étais obligé à partir, mais je n’ai pas demandé d’être réfugié. Le programme s’appelle « programme de la justice pour le refugiés ». Ils m’ont dit que je n’avais pas le droit d’accéder à ce programme, parce que je suis déjà étudiant à l’EHESS, et aussi parce que je ne suis pas demandeur d’asile. Mais merde, moi je ne veux pas demander l’asile, je suis Marocain et je suis fière de l’être, mon combat ce n’est pas ici, je ne fais pas partie d’ici, je veux rentrer dans mon pays, qui a beaucoup de galère aujourd’hui, dont une grande partie de responsabilité c’est à la France. C’est à l’Europe en générale, mais notamment à la France. Les élites économique et politique françaises, qui depuis Jacques Chirac partent aux palais royaux, qui profitent du Maroc comme une maison de bled où se reposent, et qui défendent la dictature au Maroc, ont des responsabilités. Je ne serais pas fière d’être français et je ne veux pas demander l’aide de celui que je pense avoir une partie des responsabilités dans la situation actuelle.

 

Les conséquences de mon choix

 

L’exemple le plus bête c’est de ne pas avoir eu les aides financière [Allocation Demandeur d’Asile] et l’hébergement que tous les exilés et le refugiés ont le droit d’avoir. De plus, il y a plein d’associations ou de comités qui peuvent t’aider quand tu es réfugié. Moi je me souviens, par exemple, même dans le Collectif El Manba – Soutien Migrants 13, j’avais un problème avec un papier, il y avait une fille qui travaillait dans une association, et j’avais un formulaire à remplir – moi aussi j’avais participé en tant qu’interprète entre elle et les refugiés – et je lui ai dit « j’ai besoin de remplir ce formulaire et je ne sait pas quoi y mettre » et elle m’a dit « non, nous on travaille qu’avec les réfugiés ».

Pour moi c’était un choix, j’étais en galère plus qu’un réfugié, parce que un réfugié au moins il a le droit d’être aidé par le pays qui l’accueil. De plus, en tant que réfugié tu as les droits sociaux, c’est à dire le RSA [revenu de solidarité active], ou l’aide médical, l’hébergement. Ceux-là sont les droits pour les français, les européens en France, et les réfugiés en France, et moi je ne les avais pas. Enfin, ce qui est le plus important, c’est la possibilité d’avoir une bourse d’étude : il y a plein d’associations et de fondations qui m’ont dit « si tu es réfugié on peut te donner une bourse, il faut que tu demandes d’être réfugié ». Même si là-bas je galérais au niveau de ma sécurité personnelle, j’ai une responsabilité envers mon Pays et j’ai décidé de ne pas demander l’asile. Donc toutes les aides possibles (au niveau financier, au niveau social, au niveau d’hébergement), je n’avais pas le droit de les avoir. En tant qu’étudiant non européen en France, et non refugié, je n’ai pas les droits sociaux. Par exemple je ne peux pas travailler avec un contrat aidé ; je n’ai pas le droit à l’RSA ; je n’ai pas le droit d’accéder aux logement sociaux ; etc.

 

Chercher un logement

 

Ma chance  a été de m’être fait rapidement des contacts. J’avais 1000 euros que j’avais mis de côté et je connaissais deux ou trois personnes, dont un ami qui m’avait promis de m’héberger, vu qu’il avait une chambre en plus. Quand je suis arrivé à Marseille je l’ai appelé mais il ne m’a pas répondu : je savais qu’il buvait beaucoup, donc j’ai commencé à faire le tour des bars que je connaissais, et c’est comme ça que dans un bar j’ai connu Jamil. Il m’a demandé « pourquoi t’es avec tes valises ? » et je lui ai expliqué qu’un ami m’avait promis de m’héberger pour trois mois, mais il ne me répondait plus et je ne savais plus quoi faire. Jamil m’a dit « viens chez moi, on pose tes valises et après on sort », et je suis resté trois semaines chez Jamil et Marine.

J’ai commencé à chercher des chambres à louer, mais le problème était que, même si j’avais l’argent, je n’avais pas de garants, du coup personne ne voulait me faire signer un contrat. C’était trop difficile.

Dans tous cas je pense que moi j’ai eu de la chance dans toute cette histoire : certes, j’ai passé des nuits dans la rue, j’ai galéré, j’ai eu des problèmes, mais vu que je suis militant, je suis journaliste, j’étais interprète pour les groups des réfugiées [dans le Collectif El Manba Soutien Migrants 13], cela m’a permis d’avoir beaucoup de contact. Ce n’était pas celui-là le but : je n’ai pas fait tous cela pour me procurer de contact. C’est juste que finalement ces contacts avaient d’autres contacts qui m’ont aidés. Par exemple, au Maroc j’avais une camarade qui vit maintenant en Amérique et qui a une amie qui habit à Marseille, du coup elle lui a envoyé un mail pour lui dire que je venais d’arriver à Marseille et que je cherchais une chambre à louer. Ma il y a toujours cette question : quelqu’un qui n’a pas la chance d’avoir des contact, comment peut-il s’en sortir ?

 

Demander les APL [Aide Personnalisé au Logement] et renouveler le visa étudiant

 

Une fois que j’ai trouvé une chambre, j’ai galéré beaucoup pour demander les APL [Aide Personnalisé au Logement]. La première fois que j’ai touché les APL, cela faisait déjà un ans que je payais le loyer ! Tu peux demander les APL seulement si tu as ta carte de séjour.

Le visa étudiant dure un an. Après un an tu peux demander de renouveler ton visa. Il faut le demander au Crous [Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires]. Au Crous il y a un policier auquel tu dois présenter: ton ancienne carte de séjour ; l’attestation d’inscription à l’université ; tes notes de la dernière année et des photos. Il faut savoir que ce policier ne reste au Crous que pendant deux mois, et si tu rates cette période, tout devient encore plus compliqué.

Ce policier prend tes empreintes et il te donne un récépissé qui atteste qu’il a eu ton dossier. Ensuite, chaque mois (ou bien tous les deux mois, ça dépende : on peut dire que la moyenne est 1 mois et demi) tu vas recevoir un nouveau récépissé. C’est seulement après avoir reçu trois récépissés que tu vas avoir ta carte de séjour. Donc, pendant quatre mois et demi tu n’as pas de carte de séjour, mais seulement des récépissés. Et ces récépissés ne sont pas suffisants pour demander les APL : il faut avoir la carte de séjour. Quand finalement tu reçois ta carte de séjours d’un an, tu découvres que la période de validité de cette carte ne commence pas à partir du moment où tu l’as reçue, mais à partir du premier récépissé. Cela veut dire que, au niveau des APL, les quatre premiers mois tu les perds. En plus, il faut savoir que pendant le deux ou trois derniers mois de validité de ta carte tu n’as pas non plus le droit de demander les APL, parce que ta carte de séjour va expirer dans pas longtemps. Donc, sur le douze mois de validité de ton visa étudiant, il se trouve que tu as accès à tes droits juste pour quatre ou cinq mois. Pourquoi ? Moi je ne pense pas que cela arrive par hasard. Ils veulent éviter des nous donner les APL. En effet, moi j’ai des amis qui sont venu en France et qui devaient y rester juste six mois. Ils payaient des loyers et tout le reste. Au niveau de papier, ils avaient le droit d’avoir leurs APL, mais vu qu’ils sont restés juste pour six mois, finalement ils sont repartis sans avoir réussi à avoir leur APL. Avec ce système, l’État évite le plus possible de payer les APL, surtout aux gens qui restent seulement un ou deux ans. Et quelqu’un qui ne connaît pas les démarches à suivre va perdre trois ou quatre mois de plus.

C’est pour ces raisons que finalement j’ai décidé d’arrêter de payer un loyer et d’aller plutôt squatter chez des amis. Ce qui a été une très mauvaise expérience, parce que tu ne te sens plus stable, tu ne sais pas où tu dormiras le mois prochain ou la semaine prochaine. Avant, je payais un loyer de 350 euros. Si j’avais eu les 190 euros des APL, je n’aurais jamais pensé de quitter le loyer. C’est le fait de ne pas pouvoir me permettre de payer 350 euros tous les mois qui m’a poussé, après un an, à quitter l’appartement où j’habitais.

 

Ce dont j’aurais eu besoin en arrivant à Marseille

 

Au niveau de l’accès aux informations, il faut qu’ils traduisent tous les trucs bureaucratiques au moins en arabe. On sait qu’à Marseille il y a toujours un lien avec les pays du sud de la Méditerranée, mais les choses ne fonctionnent pas comme elles devraient. Beaucoup de gens sont isolés et laissés à l’écart. Même ceux qui parlent français sont en difficulté, parce que le français des papiers administratifs c’est un autre français. On est perdu. Quand je parle avec un secrétaire de l’école ou avec un policier à la mairie, et que je le trouve malpoli, cela devient encore plus frustrant, parce que j’ai un français basique et je ne peux pas me défendre. Tu te sens d’une certaine façon handicapé : ne pas maîtriser la langue c’est tout à fait un handicap. Nous sommes très sensible aux handicaps physiques, me nous ne donnons pas la même attention à ceux qui parlent une autre langue, ou qui viennent d’une autre sphère politique. Rien que le fait de devoir interagir avec un policier, pour quelqu’un qui a été tout le temps tabassé par la police…

Par exemple, ici en France, le fait de voir partout des militaires, avec leurs armes, je ne peux pas te dire à quel point cela fait mal pour quelqu’un qui vient de la Syrie, ou de l’Iraq, ou du Yémen, ou du Soudan, ou du Maroc. Les gens qui sont déjà dans une situation de fragilité sont écrasées, on les écrase au niveau psychologique, on les écrase au niveau du langage, ils sont déjà écrasés au niveau financier, parce que ils n’ont pas le droit aux aides qui pourraient leurs garantir un minimum de dignité. Comment peux-tu demander à quelqu’un qui n’as pas l’argent pour manger, et qui ne sait pas ce qu’il faut faire pour avoir juste un papier, comment tu trouves le courage pour lui dire « il ne faut pas jeter la cigarette par terre, il faut respecter le feu rouge et le feu vert ». Comment peut-on lui demander de ne pas voler ? Il y a un proverbe arabe d’Umar ibn al-Khattab, l’un des compagnons du prophète, qui a dit : « Quelqu’un qui n’a pas à manger, je ne comprends pas comment il pourrait ne pas voler ». C’est-à-dire qu’il considère acceptable qu’on vole quand on est dans une pareille situation.

 

Inégalités entre les étudiants

 

En général, toutes ces démarches bureaucratiques te mettent la pression et tu n’arrives pas à te concentrer sur tes études ou sur ton travail ou sur ce qui tu as envie de faire. Chaque année scolaire, il y a deux ou trois mois où j’ai la sensation que mon travail est celui de renouveler les papiers. Il te faut y travailler à temps plein, comme si t’étais un salarié : il te faut le CMU [couverture maladie universelle] ; la carte de séjour ; les APL ; l’inscription à l’université ; etc., et tu deviens comme un âne dans le moulin.

Et chaque année c’est la même histoire : par exemple maintenant je n’ai pas ma carte de séjour, j’ai juste un récépissé. Je paie un loyer depuis trois mois, j’ai envoyé mon dossier pour les APL, et ils m’ont envoyé un papier où ils m’informent que ma carte de séjour va terminer dans quinze jours. Donc je leurs envoyé mon récépissé et ils m’ont dit que mon récépissé va terminer dans un mois et que du coup ils ne peuvent pas se baser sur ce récépissé pour m’accorder les APL. Cela veut dire que je continue à galérer, chaque année.

 

Je pense qu’il y a aussi un problème de justice et d’égalité entre les étudiants. Moi j’étais dans une classe d’environ quatorze personnes, il y avait un français au RSA, un autre français qui touchait une bourse française, un américain qui avait une bourse d’une fondation, un italien qui avait le chômage ici en France, et il y avait le marocain – et je parle de moi – qui avait déjà travaillé mais qui n’avait pas droit aux aides sociales parce que il n’est pas français, et qui n’avait pas le chômage parce que le Maroc ne donne pas de chômage. Finalement, la deuxième année j’ai reçu un papier qui me communiquait que j’avais obtenu une bourse marocaine. Au début, je croyais que c’était une bourse de 1200 euros, mais après j’ai découverte que cela était le montant de bourse pour les étudiants français au Maroc. Au Maroc, on le sait, les loyers sont moins chers et la vie est moins chère. Or, de l’autre coté, pour un marocain qui vient faire ses études en France, la bourse est de 90 euros par mois ! Donc moi – qui ne touchais que 90 euros, et je payais 350 ou 400 euros de loyer – j’étais dans la même classe que l’américain qui touchait 1400 euros, le français qui avait 1200 euros juste pour le chômage, etc. Et on est tous censés rendre le même travail ! Cela est donc une manière de reproduire le même schéma, selon lequel il y a quelqu’un qui est bien et il n’est pas obligé de faire des boulots de merde. Par exemple, pour les français qui ont travaillé, un de ses droits fondamentaux c’est de percevoir le chômage, ou bien s’ils veulent s’inscrire à une formation, le Pôle Emploi continue à donner le salaire pendant un an. De l’autre coté, moi je travaillais comme journaliste au Maroc, je gagnais 3000 euros par mois, mais maintenant je n’ai pas le droit à tout cela. Donc mon collègue français continue d’avoir son salaire, ce qui lui permet de se concentrer sur son master. Alors que moi il m’est interdit de travailler : mon visa étudiant m’interdit d’avoir un travail en temps plein. Je ne peut pas dépasser un certain nombre d’heures de travaille, et c’est un nombre d’heure qui n’est pas suffisant à gagner ma vie. Du coup je n’ai pas d’argent pour vivre.

Je connais des filles et de garçons qui sont obligé de se prostituer pour avoir à manger, parce que ils n’ont pas la nationalité française ou européenne. D’autres travaillent au noir comme des esclaves, ils ne sont pas payés, etc. On ne peut pas dire que le système français se base sur la justice, même au niveau le plus basic, celui de garantir aux gens d’avoir à manger et de pouvoir se concentrer sur leurs études.

 

Conseils à donner

 

Être impliqué dans ce qui se passe à Marseille. Moi je pense que si j’avais pas commencé à m’impliquer dans le comité des réfugiés, ou le comité pour le printemps arabe ou pour la cause palestinien, pour plein de chose, je n’aurais pas rencontrés les futurs élèves de mes cours d’arabe (grâce auxquels je paie mon loyer) et je n’aurais pas pu faire plein d’autre choses.

Il y a plein de chose qui se passent et qui sont intéressant, au niveau politique, humain, humanitaire et culturel. Si j’ai un conseil c’est celui d’être ouvert et de s’impliquer dans les dynamiques qui se passent ici. Même si tu ne veux penser qu’à toi même – chose que je ne conseille pas, mais même dans ce cas – ça sera bien pour toi de t’ouvrir aux autres.

 

Un autre conseil : profiter des lieux publics et ouverts, comme par exemples les bibliothèques ou les plages. En France il y a de lieux, faits par l’État ou par la société, qui peuvent nous aider à sortir de la sensation d’être isolé. Je pense précisément à l’Alcazar, une bibliothèque où on peut trouver des livres en Arabe, en espagnol, en italien, en français…

 

La Crous peut donner des aides financières : ils m’ont aidé avec environ 500 euros l’année dernière. Allez demander l’aide à la Crous si vous êtes étudiants.

Dernier conseil : prendre l’habitude d’écrire des lettres pour demander des information ou des aides, ou bien pour raconter son histoire.