Récit d’Ousmane

Récit récolté par l’Observatoire Asile de Marseille

En Italique, les commentaires et précisions des intervieweurs, membres de l’Observatoire.

Ousmane est né en 1993 au Sénégal. Il parle français avec un peu de difficulté, il est Peul. Il est arrivé au printemps 2017 à Marseille (premier enregistrement au GUDA). Passé par l’Italie, il est resté presque un an dans un camp où il n’a reçu aucune aide. Puis il a pris un métro à Milan, puis un train et il s’est rendu jusqu’à la frontière.

 

Du Mali à l’Italie, en passant par la Libye

Je viens de Casamance. Je devais partir… Je suis passé d’abord au Mali. Après je suis allé au Burkina Faso parce que par le Nord, c’est dangereux. J’ai passé le Niger et ensuite la Libye, là, je suis resté  longtemps. Quand j’étais en Libye, j’ai été battu. J’ai fait trois prisons en Libye, je n’oublierai jamais. A Tripoli, à Madina, puis à Misrata. Chaque jour, ils venaient et frappaient les gens, même plusieurs fois par jour. On a cassé un mur pour sortir pendant la nuit. Là-bas, les Africains restent ensemble, on était dans une maison, mais des Libyens sont venus pour nous voler et nous attraper. Je travaillais quand je pouvais et je devais garder l’argent avec moi car il n’y a pas de banque. Alors ils venaient prendre l’argent, les papiers, tout !

En Italie, j’étais dans un camp dans un petit village assez loin de Milan, on ne m’a jamais aidé là-bas pendant un an, j’avais des problèmes de santé parce que j’avais pris des coups en Libye mais j’ai dû trouver des médicaments moi-même et payer. L’homme qui s’occupait de nous n’a pas voulu m’aider parce que j’ai toujours dit que je ne voulais pas rester en Italie, je voulais aller en France. Il a même appelé la police une fois pour dire qu’il avait des problèmes avec moi… Moi j’avais mal au genou, on ne m’a pas soigné.

 

Arrivée en France : prise en charge médicale et logement d’urgence

J’ai essayé de passer la frontière à Vintimille et deux fois j’ai été rapatrié. La troisième fois, j’ai réussi à passer à pieds, j’ai continué jusqu’à Nice, et à Nice une personne m’a amené jusqu’à la gare routière pour aller à Marseille. J’ai beaucoup dormi ici, à la gare. Je suis allé à la Plateforme de demande d’asile [PADA] mais là-bas c’est pas pour aider les gens. J’ai reçu un courrier de la Sécurité Sociale, je l’ai montré au docteur à l’Hôpital Européen, il a fait une lettre à envoyer à la Sécurité Sociale. J’ai la CMU.

D’abord, j’ai vu un docteur vers National à Médecins du Monde (fiche de liaison du 16/05), ils m’ont envoyé à la Timone, c’est le premier hôpital que j’ai fait. Ils m’ont envoyé à l’hôpital Edouard Toulouse aussi (ordonnance pour le médicament ATARAX). Après, je suis allé à l’hôpital Européen. J’ai eu des problèmes au cœur et aussi au genou. J’avais un traitement [des certificats médicaux datant de juin font état de traumas multiples suite à maltraitance en Libye, ce qui nécessite son maintien sur le territoire français].

J’étais à Forbin pendant 4 mois, je suis encore là-bas pour quelques jours, après ça va s’arrêter. Pour manger, je vais chez les Sœurs [Missionnaires de la Charité]. Je vais aussi à l’accueil de jour, je prends ma douche chaque jour là-bas. Je marche beaucoup partout, je vais jusqu’à la Madrague, je suis allé une fois à El Manba, il y a beaucoup de monde là-bas. Je vais partout. Je viens ici [SOS Voyageurs] après les Sœurs. Je ne reste pas qu’à la gare. J’ai une carte de la bibliothèque l’Alcazar, j’ai demandé à quelqu’un pour être connecté et on m’a dit d’aller là-bas.

Le problème c’est que actuellement, il fait froid, je suis à Forbin jusqu’à la mi-novembre seulement.

Je garde un sac à dos seulement avec moi et j’ai un sac avec des affaires que je laisse à mon ami, il est logé à la Madrague. Parce que je marche beaucoup et aussi parce qu’il y a les vols quand on reste dans la rue et même dans les foyers. Mes papiers aussi je les laisse à mon ami le soir quand je le retrouve.

Dormir dehors et devoir retourner en Italie

Après notre rencontre, Ousmane a appelé le 115 pour renouveler son séjour à Forbin, il a obtenu 9 jours puis plus rien. Malgré ses appels quotidiens (il appelle le matin et le soir), il a dû dormir dehors plusieurs nuits (1 semaine) avant d’être hébergé par une personne du Réseau Hospitalité qui accompagne les demandeurs d’Asile à Marseille. Puis, en début d’année, il a rappelé le 115, on lui a donné 9 jours à la Madrague puis 9 jours à Forbin.

Il est en procédure Dublin (« On m’a forcé à donner mes empreintes en Italie » et chaque fois qu’on l’a interrogé, il a déclaré qu’il n’a pas demandé l’asile en Italie mais qu’il veut faire sa demande en France car il parle français et ne comprend pas l’italien, cela est inscrit sur tous les documents officiels). En novembre, la Préfecture lui a remis un arrêté de transfert en Italie et une assignation à résidence : il est convoqué deux fois par semaine pour signer cette assignation, le mardi et le vendredi.  

 

Acharnement des autorités administratives

Après ces décisions, il a obtenu un nouveau certificat médical, il l’a présenté à l’agent de la Préfecture qui a refusé de l’ajouter à son dossier en disant : « Vous irez en Italie et on vous soignera en Italie. »

Nous sommes retournés ensemble à la convocation suivante et j’ai demandé que l’on remette ce certificat dans son dossier, elle a accepté cette fois. Mardi 5 décembre, quand il est arrivé pour pointer, on lui a dit qu’il fallait attendre. Il a attendu longtemps, puis on l’a fait entrer dans les bureaux et on lui a remis un ordre de départ pour le lendemain 6h en direction de Milan. Il n’est pas parti mais il s’est présenté à la Préfecture le matin même pour dire qu’il avait raté l’avion et ainsi, ne pas se mettre en fuite…

Janvier 2018, après deux assignations à résidence, la signature de sa feuille de présence deux fois par semaine à la Préfecture pendant des mois et l’acharnement de celle-ci à maintenir Ousmane en procédure Dublin, nous tentons un recours pour obtenir le passage en procédure normale malgré la demande de prolongation adressée à l’Italie et le délai de 18 mois pour son renvoi dans ce pays. Sur les conseils de son avocat, Ousmane ne va plus se rendre à la Préfecture pour signer, depuis le 11 janvier plus aucun document légal ne l’oblige à le faire mais le bureau Asile continue de le convoquer et la menace d’un nouvel ordre de départ pour l’Italie persiste.

 

 

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